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16 - Discours de la tragedie /

Le malheur d'un homme fort méchantn'excite ni pitié, ni crainte, parce qu'iln'est pas digne de la prémiére, & que lesspectateurs ne sont pas méchans comme lui, pour concevoir l'autre à la vûë de sapunition: mais il seroit à propos de mettre quelque distinction entre les crimes. Ilen est dont les honnêtes gens sont capablespar une violence de passion, dont le mauvais succès peut faire effet dans l'ame del'auditeur. Un honnête homme ne va pasvoler au coin d'un bois, ni faire un assassinat de sang froid; mais s'il est bien amoureux, il peut faire une supercherie à son rival, il peut s'emporter de colére, & tuer dans un prémier mouvement, & l'ambition le peut engager dans un crime, oudans une action blâmable. Il est peu de méres qui voulussent assassiner, ou empoisonner leurs enfans, de peur de leur rendre leur bien, comme Cléopatre dans Rodogu- 512 SECOND DISCOURS. ne: mais il en est assez, qui prennent goûtà en jouïr, & ne s'en dessaisissent qu'à regret, & le plus tard qu'il leur est possible. Bienqu'elles ne soient pas capables d'une actionsi noire, & si dénaturée que celle de cetteReine de Syrie, elles ont en elles quelqueteinture du principe qui l'y porta; & la vûe de la juste punition qu'elle en reçoit,leur peut faire craindre, non pas un pareilmalheur, mais une infortune proportionnéee à ce qu'elles sont capables de com- mettre. Il en est ainsi de quelques autrescrimes, qui ne sont pas de la portée denos auditeurs. Le lecteur en pourra fairel'examen & l'application sur cet exemple.


17 - Discours de la tragedie /

Cependant, quelque difficulté qu'il y ayeà trouver cette purgation effective & sensible des passions, par le moyen de la pitié& de la crainte, il est aisé de nous accommoder avec Aristote. Nous n'avons qu'à dire que par cette façon de s'énoncer, iln'a pas entendu que ces deux moyens yservissent toujours ensemble, & qu'il suffitselon lui de l'un des deux pour faire cettepurgation, avec cette différence toutefois, que la pitié n'y peut arriver sans la crainte, & que la crainte peut y parvenir sans la pitié. La mort du Comte n'en fait aucunedans le Cid, & peut toutefois mieux purger en nous cette sorte d'orgueil envieuxde la gloire d'autrui, que toute la compassion que nous avons de Rodrigue & de DE LA TRAGEDIE. 513 Chiméne ne purge les attachemens de ceviolent amour qui les rend à plaindre l'un& l'autre. L'auditeur peut avoir de la commisération pour Antiochus, pour Nicoméde, pour Héraclius; mais s'il en demeure-là, & qu'il ne puisse craindre de tomber dans un pareil malheur, il ne guérirad'aucune passion. Au contraire, il n'en apoint pour Cléopatre, ni pour Prusias, nipour Phocas; mais la crainte d'une infortune semblable, ou approchante, peut purger en une mére l'opiniâtreté à ne se pointdessaisir du bien de ses enfans; en un mari,le trop de déférence à une seconde femmeau préjudice de ceux de son prémier lit;en tout le monde, l'avidité d'usurper le bien ou la dignité d'autrui par violence; & tout cela proportionnément à la condition d'unchacun, & à ce qu'il est capable d'entreprendre. Les déplaisirs & les irrésolutionsd'Auguste dans Cinna peuvent faire ce dernier effet, par la pitié & la crainte jointesensemble; mais, comme je l'ai déja dit, il n'arrive pas toujours que ceux que nousplaignons soient malheureux par leur faute.Quand ils sont innocens, la pitié que nousen prenons ne produit aucune crainte, & sinous en concevons quelqu'une qui purge nos passions, c'est par le moyen d'une autre personne que de celle qui nous fait pitié, & nous la devons toute à la force del'exemple


18 - Discours de la tragedie /

Il ne veut point qu'un homme tout-àfait innocent tombe dans l'infortune, parce que cela étant abominable, il excite plusd'indignation contre celui qui le persécute, que de pitié pour son malheur; il ne veutpas non plus qu'un très-méchant y tombe,parce qu'il ne peut donner de pitié par unmalheur qu'il mérite, ni en faire craindre un pareil à des Spectateurs qui ne lui ressemblent pas; mais quand ces deux raisonscessent, en sorte qu'un homme de bien quisouffre, excite plus de pitié pour lui, qued'indignation contre celui qui le fait souffrir, ou que la punition d'un grand crimepeut corriger en nous quelque imperfection qui a du rapport avec lui, j'estime qu'ilne faut point faire de difficulté d'exposer sur la scéne des hommes très-vertueux, outrès-méchans, dans le malheur. En voicideux ou trois maniéres, que peut-être Aristote n'a sû prévoir, parce qu'on n'en voyoitpas d'exemples sur les théatres de son temps.


19 - Discours de la tragedie /

Pour nous faciliter les moyens d'excitercette pitié, qui fait de si beaux effets surnos Théatres, Aristote nous donne une lumiére. Toute Action, dit-il, se passe, ou entre des amis, ou entre des ennemis, ou entredes gens indifférens l'un pour l'autre. Qu'unennemi tue ou veuille tuer son ennemi, cela ne produit aucune commiseration; sinon entantqu'on s'émeut d'apprendre ou de voir la mortd'un homme, quel qu'il soit. Qu'un indifférent tue un indifférent, cela ne touche guéresdavantage, d'autant qu'il n'excite aucun combat dans l'ame de celui qui fait l'action. Maisquand les choses arrivent entre des gens que lanaissance ou l'affection attache aux intérêts l'un de l'autre, comme alors qu'un mari tue,ou est prêt de tuer sa femme, une mére ses enfans, un frére sa sœur; c'est ce qui convientmerveilleusement à la Tragédie. La raisonen est claire. Les oppositions des sentimensde la nature aux emportemens de la passion,ou à la sévérité du devoir, forment depuissantes agitations, qui sont recûes de DE LA TRAGEDIE. 519 l'auditeur avec plaisir, & il se porte aisément à plaindre un malheureux oppriméou poursuivi par une personne qui devroits'intéresser à sa conservation, & qui quelquefois ne poursuit sa perte qu'avec déplaisir, ou du moins avec répugnance. Horace & Curiace ne seroient point à plaindre, s'ils n'étoient point amis & beaux-fréres, ni Rodrigue s'il étoit poursuivi par un autre que par sa maîtresse; & le malheurd'Antiochus toucheroit beaucoup moins, siun autre que sa mére lui demandoit le sangde sa maîtresse, ou qu'un autre que sa maî- tresse lui demandât celui de sa mére, ousi après la mort de son frére qui lui donnesujet de craindre un pareil attentat sur sapersonne, il avoit à se défier d'autres quede sa mére & de sa maîtresse.


20 - Discours de la tragedie /

Ce n'est pas démentir Aristote, que del'expliquer ainsi favorablement, pour trouver dans cette quatriéme maniére d'agirqu'il rebute, une espéce de nouvelle Tragédie plus belle que les trois qu'il recommande, & qu'il leur eût sans doute préférée, s'il l'eût connue. C'est faire honneurà notre siécle, sans rien retrancher de l'autorité de ce Philosophe; mais je ne sai comment faire pour lui conserver cette autorité, & renverser l'ordre de la préférence qu'il établit entre ces trois espéces. Cependant jepense être bien fondé sur l'expérience, àdouter si celle qu'il estime la moindre destrois, n'est point la plus belle, & si cellequ'il tient la plus belle, n'est point la moin- 524 SECOND DISCOURS. dre. La raison est que celle-ci ne peut exciter de pitié. Un pére y veut perdre sonfils sans le connoître, & ne le regarde quecomme indifférent, & peut - être commeennemi. Soit qu'il passe pour l'un ou pourl'autre, son péril n'est digne d'aucune commisération selon Aristote même, & ne fait naître en l'auditeur qu'un certain mouvement de trépidation intérieure, qui le porte à craindre que ce fils ne périsse avantque l'erreur soit découverte, & à souhaiterqu'elle se découvre assez tôt pour l'empêcher de périr: ce qui part de l'intérêt qu'onne manque jamais à prendre dans la fortune d'un homme assez vertueux pour se faire aimer; & quand cette reconnoissance arrive, elle ne produit qu'un sentiment de conjouïssance de voir arriver la chose comme on le souhaitoit.


21 - Discours de la tragedie /

Je n'ose décider si absolument de la seconde espéce. Qu'un homme prenne querelle avec un autre, & que l'ayant tué ilvienne à le reconnoître pour son pére, ou pour son frére, & en tombe au desespoir, cela n'a rien que de vraisemblable, & par conséquent on le peut inventer: mais d'ailleurs, cette circonstance de tuer son pére ouson frére, sans le connoître, est si extraordinaire, & si éclatante, qu'on a quelque droitde dire que l'Histoire n'ose manquer à s'ensouvenir, quand elle arrive entre des personnes illustres, & de refuser toute croyance à de tels événemens, quand elle ne lesmarque point. Le Théatre ancien ne nous DE LA TRAGEDIE. 529 en fournit aucun exemple qu'Oedipe, & je ne me souviens point d'en avoir vû aucunautre chez nos Historiens. Je sai que cetévénement sent plus la Fable que l'Histoire,& que par conséquent il peut avoir été inventé, ou en tout, ou en partie; mais la Fable & l'Histoire de l'antiquité sont si mêlées ensemble, que pour n'être pas en périld'en faire un faux discernement, nous leurdonnons une égale autorité sur nos théatres.Il suffit que nous n'inventions pas ce quide soi n'est point vraisemblable, & qu'étant inventé de longue main, il soit devenu si bien de la connoissance de l'auditeur,qu'il ne s'effarouche point à le voir sur lascéne. Toute la métamorphose d'Ovide est manifestement d'invention: on peut en tirer des sujets de Tragédie, mais non pasinventer sur ce modéle, si ce n'est des épisodes de même trempe. La raison en est,que bien que nous ne devions rien inventer que de vraisemblable, & que ces sujetsfabuleux, comme Androméde & Phaëton,ne le soient point du tout, inventer des épisodes, ce n'est pas tant inventer, qu'ajoû- ter à ce qui est déja inventé; & ces épisodes trouvent une espéce de vraisemblance,dans leur rapport avec l'action principale,en sorte qu'on peut dire que supposé quecela se soit pû faire, il s'est pû faire com- me le Poëte le décrit.


22 - Discours de la tragedie /

Celles de la troisiéme espéce ne reçoiventaucune difficulté. Non seulement on lespeut inventer, puisque tout y est vraisemblable, & suit le train commun des affec- tions naturelles; mais je doute même si cene seroit point les bannir du Théatre, qued'obliger les Poëtes à en prendre les sujetsdans l'Histoire. Nous n'en voyons point 532 SECOND DISCOURS. de cette nature chez les Grecs, qui n'ayentla mine d'avoir été inventés par leurs Auteurs. Il se peut faire que la Fable leur enaye prêté quelques-uns. Je n'ai pas les yeuxassez pénétrans pour percer de si épaisses obscurités, & déterminer si l'Iphigénie inTauris est de l'invention d'Euripide commeson Héléne, & son Ion, ou s'il l'a prise d'un autre; mais je croi pouvoir dire qu'ilest très-mal-aisé d'en trouver dans l'Histoire, soit que tels événemens n'arrivent quetrès-rarement, soit qu'ils n'ayent pas assezd'éclat pour y mériter une place. Celui de Thésée reconnu par le Roi d'Athénes sonpére, sur le point qu'il l'alloit faire périr,est le seul dont il me souvienne. Quoi qu'ilen soit, ceux qui aiment à les mettre surla Scéne, peuvent les inventer sans crainte de la censure. Ils pourront produire par là quelque agréable suspension dans l'esprit de l'Auditeur, mais il ne faut pas qu'ils se promettent de lui tirer beaucoup de larmes.


23 - Discours de la tragedie /

Je viens à l'autre division du vraisemblable en ordinaire & extraordinaire. L'ordinaire est une action qui arrive à la véritémoins souvent que sa contraire, mais quine laisse pas d'avoir sa possibilité assez aisée, pour n'aller point jusqu'au miracle, ni jusqu'à ces événemens singuliers, qui serventde matiére aux Tragédies sanglantes parl'appui qu'ils ont de l'histoire, ou de l'opinion commune, & qui ne se peuvent tirer en exemple que pour les Episodes de la piéce dont ils font le corps, parce qu'ils nesont pas croyables à moins que d'avoir cetappui. Aristote donne deux idées ou ex- emples généraux de ce vraisemblable extraordinaire. L'un d'un homme subtil &adroit qui se trouve trompé par un moinssubtil que lui; l'autre d'un foible qui se batcontre un plus fort que lui, & en demeure victorieux; ce qui sur-tout ne manque jamais à être bien reçû, quand la cause duplus simple ou du plus foible est la plus équitable. Il semble alors que la justice duCiel ait présidé au succès, qui trouve d'ailleurs une croyance d'autant plus facile, qu'ilrépond aux souhaits de l'auditoire, qui s'intéresse toujours pour ceux dont le procédéest le meilleur. Ainsi la victoire du Cidcontre le Comte se trouveroit dans la vraisemblance extraordinaire, quand elle ne seroit pas vraie. Il est vraisemblable, dit notre Docteur, que beaucoup de choses arrivent contreDE LA TRAGEDIE. 551le vraisemblable; & puisqu'il avoue par - là que ces effets extraordinaires arrivent contre la vraisemblance, j'aimerois mieux lesnommer simplement croyables, & les ranger sous le nécessaire, attendu qu'on nes'en doit jamais servir sans nécessité.


24 - Discours de la tragedie /

Tout ce que la Fable nous dit de sesDieux & de leurs métamorphoses, est encoreimpossible, & ne laisse pas d'être croyablepar l'opinion commune, & par cette vieilletradition qui nous a accoutumés à en ouïrparler. Nous avons droit d'inventer même sur ce modéle, & de joindre des incidens également impossibles à ceux que ces anciennes erreurs nous prêtent. L'auditeurn'est point trompé de son attente, quandle titre du poëme le prépare à n'y voir rien DE LA TRAGEDIE. 553 que d'impossible en effet: il y trouve toutcroyable, & cette prémiére supposition faitequ'il est des Dieux, & qu'ils prennent intérêt & font commerce avec les hommes,à quoi il vient tout résolu, il n'a aucunedifficulté à se persuader du reste.


25 - Discours de la tragedie /

En second lieu, ce mot d'Unité d'actionne veut pas dire que la Tragédie n'en doive faire voir qu'une sur le Théatre. Celleque le Poëte choisit pour son sujet doit avoir un commencement, un milieu, &une fin, & ces trois parties non seulementsont autant d'actions qui aboutissent à laprincipale, mais en outre, chacune d'ellesen peut contenir plusieurs avec la même subordination. Il n'y doit avoir qu'une action complette, qui laisse l'esprit de l'auditeur dans le calme; mais elle ne peut ledevenir, que par plusieurs autres imparfaites, qui lui servent d'acheminemens, & tiennent cet auditeur dans une agréable suspension. C'est ce qu'il faut pratiquer à lafin de chaque Acte, pour rendre l'actioncontinue. Il n'est pas besoin qu'on sacheprécisément tout ce que font les Acteurs DES TROIS UNITE'S. 561 durant les intervalles qui les séparent, nimême qu'ils agissent lorsqu'ils ne paroissentpoint sur le Théatre; mais il est nécessaireque chaque Acte laisse une attente de quelque chose qui se doive faire dans celui qui le suit.


26 - Discours de la tragedie /

Quand je dis qu'il n'est pas besoin derendre compte de ce que font les Acteurs,pendant qu'ils n'occupent point la Scéne,je n'entens pas dire qu'il ne soit quelquefois fort à propos de le rendre; mais seulement qu'on n'y est pas obligé, & qu'iln'en faut prendre le soin que quand ce quis'est fait derriére le Théatre sert à l'intelligence de ce qui se doit faire devant les spectateurs. Ainsi je ne dis rien de ce qu'afait Cléopatre depuis le second Acte jusqu'au quatriéme, parce que durant toutce temps-là elle a pû ne rien faire d'important pour l'action principale que je prépare; mais je fais connoître dès le prémiervers du cinquiéme, qu'elle a employé toutl'intervalle d'entre ces deux derniers, à tuerSéleucus, parce que cette mort fait une partie de l'action. C'est ce qui me donnelieu de remarquer, que le Poëte n'est pastenu d'exposer à la vûe toutes les actionsparticuliéres qui aménent à la principale. Ildoit choisir celles qui lui sont les plus avan- tageuses à faire voir, soit par la beauté du spectacle, soit par l'éclat & la véhémence des passions qu'elles produisent, soit parquelque autre agrément qui leur soit attaché; & cacher les autres derriére la Scéne, DES TROIS UNITE'S. 563 pour les faire connoître au spectateur, oupar une narration, ou par quelque autre adresse de l'art. Sur-tout il doit se souvenirque les unes & les autres doivent avoir unetelle liaison ensemble, que les derniéres soient produites par celles qui les précédent, & que toutes ayent leur source dansla protase qui doit fermer le prémier Acte.Cette régle que j'ai établie dès le prémierDiscours, bien qu'elle soit nouvelle, & contre l'usage des Anciens, a son fondementsur deux passages d'Aristote. En voici leprémier: Il y a grande difference, dit-il,entre les événemens qui viennent les uns aprèsles autres, & ceux qui viennent les uns àcause des autres. Les Maures viennent dansle Cid après la mort du Comte, & nonpas à cause de la mort du Comte; & lePêcheur vient dans D. Sanche, après qu'on soupçonne Carlos d'être le Prince d'Arragon, & non pas à cause qu'on l'en soupçonne: ainsi tous les deux sont condamnables. Le second passage est encore plus formel, & porte en termes exprès, que toutce qui se passe dans la Tragédie, doit arrivernécessairement ou vraisemblablement de ce qui l'a précédé.


27 - Discours de la tragedie /

La liaison des Scénes qui unit toutes lesactions particuliéres de chaque Acte l'uneavec l'autre, & dont j'ai parlé en l'Examende la Suivante, est un grand ornement dansun poëme, & qui sert beaucoup à former 564 TROSIE'ME DISCOURS. une continuïté d'action par la continuïtéde la représentation; mais enfin ce n'estqu'un ornement, & non pas une régle. LesAnciens ne s'y sont pas toujours assujettis,bien que la plûpart de leurs Actes ne soientchargés que de deux ou trois Scénes; cequi la rendoit bien plus facile pour eux,que pour nous qui leur en donnons quelquefois jusqu'à neuf ou dix. Je ne rapporterai que deux exemples du mépris qu'ils en ont fait. L'un est de Sophocle dans l'Ajax, dont le monologue, avant que de setuer, n'a aucune liaison avec la Scéne quile précéde, ni avec celle qui le suit. L'autreest du troisiéme Acte de l'Eunuque de Térence, où celle d'Antiphon seul n'a aucune communication avec Chrémés & Pythiasqui sortent du Théatre quand il y entre.Les Savans de notre siécle, qui les ont prispour modéles dans les Tragédies qu'ils nous ont laissées, ont encore plus négligé cetteliaison qu'eux, & il ne faut que jetter l'œilsur celles de Buchanan, de Grotius, & deHeinsius, dont j'ai parlé dans l'Examen dePolyeucte, pour en demeurer d'accord.Nous y avons tellement accoutumé nosspectateurs, qu'ils ne sauroient plus voirune Scéne détachée, sans la marquer pourun défaut. L'œil & l'oreille même s'enscandalisent, avant que l'esprit y aye pû faire de réflexion. Le quatriéme Acte deCinna demeure au-dessous des autres par DES TROIS UNITE'S. 565 ce manquement; & ce qui n'étoit pointune régle autrefois, l'est devenu maintenant par l'assiduïté de la pratique.


28 - Discours de la tragedie /

Bien que l'action du poëme dramatiquedoive avoir son unité, il y faut considérerdeux parties, le nœud, & le dénouement.Le nœud est composé, selon Aristote, en partie de ce qui s'est passé hors du Théatre avantle commencement de l'action qu'on y décrit, &en partie de ce qui s'y passe; le reste appartientau dénouement. Le changement d'une fortuneDES TROIS UNITE'S. 567en l'autre fait la séparatisn de ces deux parties. Tout ce qui le précéde est de la prémiére, & ce changement avec ce qui le suit, regarde l'autre. Le nœud dépend entiérement du choix& de l'imagination industrieuse du Poëte,& l'on n'y peut donner de régle, sinonqu'il y doit ranger toutes choses selon levraisemblable, ou le nécessaire, dont j'ai parlé dans le second Discours: à quoi j'ajoûte un conseil, de s'embarrasser le moins qu'illui est possible des choses arrivées avant l'action qui se représente. Ces narrations importunent d'ordinaire, parce qu'elles ne sontpas attendues, & qu'elles gênent l'esprit del'Auditeur, qui est obligé de charger sa mémoire de ce qui s'est fait dix ou douze ansauparavant, pour comprendre ce qu'il voitreprésenter: mais celles qui se font des choses qui arrivent & se passent derriére le Théatre, depuis l'action commencée, font toujours un meilleur effet, parce qu'elles sont attendues avec quelque curiosite, & font partie de cette action qui se représente. Unedes raisons qui donne tant d'illustres susfrages à Cinna pour le mettre au - dessus de ceque j'ai fait, c'est qu'il n'y a aucune narration du passé, celle qu'il fait de sa conspiration à Æmilie, étant plutôt un ornement qui chatouille l'esprit des Spectateurs,qu'une instruction nécessaire de particularités qu'ils doivcnt savoir & imprimer dansleur mémoire pour l'intelligence de la suite. 568 TROISIE'ME DISCOURS. Æmilie leur fait assez connoître dans lesdeux prémiéres scénes qu'il conspiroit contre Auguste en sa faveur, & quand Cinnalui diroit tout simplement que les conjuréssont prêts au lendemain, il avanceroit autant pour l'action, que par les cent vers qu'ilemploie à lui rendre compte, & de ce qu'illeur a dit, & de la maniére dont ils l'ontreçû. Il y a des intrigues qui commencentdès la naissance du Héros, comme celle d'Héraclius; mais ces grands efforts d'imagination en demandent un extraordinaire àl'attention du Spectateur, & l'empêchentsouvent de prendre un plaisir entier aux prémiéres représentations, tant elles le fatiguent.


29 - Discours de la tragedie /

Bien que l'action du poëme dramatiquedoive avoir son unité, il y faut considérerdeux parties, le nœud, & le dénouement.Le nœud est composé, selon Aristote, en partie de ce qui s'est passé hors du Théatre avantle commencement de l'action qu'on y décrit, &en partie de ce qui s'y passe; le reste appartientau dénouement. Le changement d'une fortuneDES TROIS UNITE'S. 567en l'autre fait la séparatisn de ces deux parties. Tout ce qui le précéde est de la prémiére, & ce changement avec ce qui le suit, regarde l'autre. Le nœud dépend entiérement du choix& de l'imagination industrieuse du Poëte,& l'on n'y peut donner de régle, sinonqu'il y doit ranger toutes choses selon levraisemblable, ou le nécessaire, dont j'ai parlé dans le second Discours: à quoi j'ajoûte un conseil, de s'embarrasser le moins qu'illui est possible des choses arrivées avant l'action qui se représente. Ces narrations importunent d'ordinaire, parce qu'elles ne sontpas attendues, & qu'elles gênent l'esprit del'Auditeur, qui est obligé de charger sa mémoire de ce qui s'est fait dix ou douze ansauparavant, pour comprendre ce qu'il voitreprésenter: mais celles qui se font des choses qui arrivent & se passent derriére le Théatre, depuis l'action commencée, font toujours un meilleur effet, parce qu'elles sont attendues avec quelque curiosite, & font partie de cette action qui se représente. Unedes raisons qui donne tant d'illustres susfrages à Cinna pour le mettre au - dessus de ceque j'ai fait, c'est qu'il n'y a aucune narration du passé, celle qu'il fait de sa conspiration à Æmilie, étant plutôt un ornement qui chatouille l'esprit des Spectateurs,qu'une instruction nécessaire de particularités qu'ils doivcnt savoir & imprimer dansleur mémoire pour l'intelligence de la suite. 568 TROISIE'ME DISCOURS. Æmilie leur fait assez connoître dans lesdeux prémiéres scénes qu'il conspiroit contre Auguste en sa faveur, & quand Cinnalui diroit tout simplement que les conjuréssont prêts au lendemain, il avanceroit autant pour l'action, que par les cent vers qu'ilemploie à lui rendre compte, & de ce qu'illeur a dit, & de la maniére dont ils l'ontreçû. Il y a des intrigues qui commencentdès la naissance du Héros, comme celle d'Héraclius; mais ces grands efforts d'imagination en demandent un extraordinaire àl'attention du Spectateur, & l'empêchentsouvent de prendre un plaisir entier aux prémiéres représentations, tant elles le fatiguent.


30 - Discours de la tragedie /

De l'action je passe aux Actes, qui endoivent contenir chacun une portion, maisnon pas si égale, qu'on n'en réserve pluspour le dernier que pour les autres, & qu'onn'en puisse moins donner au prémier qu'aux autres. On peut même ne faire autre chose dans ce prémier que peindre les mœursdes personnages, & marquer à quel pointils en sont de l'Histoire qu'on va représenter. Aristote n'en prescrit point le nombre. Horace le borne à cinq, & bien qu'il défende d'y en mettre moins, les Espagnolss'opiniâtrent à l'arrêter à trois, & les Italiens font souvent la même chose. LesGrecs les distinguoient par le chant du chœur,& comme je trouve lieu de croire qu'en quelques - uns de leurs poëmes ils le faisoient chanter plus de quatre fois, je nevoudrois pas répondre qu'ils ne les poussas- DES TROIS UNITE'S. 571 sent jamais au-delà de cinq. Cette maniérede les distinguer étoit plus incommode quela nôtre; car, ou l'on prêtoit attention àce que chantoit le chœur, ou l'on n'y en prêtoit point. Si l'on y en prêtoit, l'esprit de l'Auditeur étoit trop tendu, & n'avoitaucun moment ponr se délasser. Sil'on n'y enprêtoit point, son attention étoit trop dissipéepar la longueur du chant, & lorsqu'un autreActe commençoit, il avoit besoin d'un effortde mémoire pour rappeller en son imagination ce qu'il avoit déja vû, & en quel point l'action étoit demeurée. Nos violons n'ontaucunes de ces incommodités. L'esprit del'Auditeur se relâche durant qu'ils jouent,& réfléchit même sur ce qu'il a vû, pourle louer, ou le blâmer, suivant qu'il lui a plû, ou déplû; & le peu qu'on les laisse jouer lui en laisse les idées si récentes, quequand les Acteurs reviennent, il n'a pointbesoin de se faire effort pour rappeller &renouer son attention.