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16 - Lettres sur la danse /

QUe dites-vous, Monsieur, de tous les titres dont on décore tous les jours ces mauvais divertissements destinés en quelque façon à l'ennui, & que suivent toujours le froid & la mélancolie; on les nomme tous Ballets Pantomimes, quoique dans le fond, ils ne disent rien. La plupart des Danseurs Lettres ou des Compositeurs devroient adopter l'usage que les Peintres suivoient dans les siecles d'ignorance; ils substituoient à la place du masque des rouleaux de papier qui sortoient de la bouche des personnages, & sur cesrouleaux l'action, l'expression & la situation que chacun d'eux devoit rendre étoient écrites. Cette précaution utile qui mettoit le Spectateur au fait de l'idée & de l'exé- cution imparfaite du Peintre, l'instruiroit aujourd'hui de la signification desmouvements méchaniques & indéterminés de nos Pantomimes. Le dialogue spirituel des pas de deux; les réflexions agréables des entrées seuls, & les conversations raisonnées des Figurants & des Figurantes de nos jours seroient bientôt expliqués. Un bouquet, un rateau, une cage, une vielle, ou une Sur la Danse. guittare; voilà à peu près ce qui fournit l'intrigue de nos superbes Ballets; voilà les sujets grands & vastes qui naissent des efforts de l'imagination de nos Compositeurs. Avouez, Monsieur, qu'il faut avoir un talent bien éminent & bien supérieur pour les traiter avec quelque distinction. Un petit pas tricoté mal adroitement sur le coup de pied, sert d'exposition, de nœud & de dénouement à ces chefs-d'œuvres; cela veut dire, voulez-vous danser avec moi? & l'on danse; ce sont là les drames ingénieux dont on nous repaît; c'est ce qu'on nomme des Ballets d'invention, de la Danse Pantomime; mais laissons-en ramper paisiblement les Auteurs; les ailes sont des ornements étrangers & des instruments inutiles pour quiconque ne peut devoir son Lettres éclat à lui-même, & se voit forcé comme les vers luisants à l'emprunter des ténebres & de l'obscurité.


17 - Lettres sur la danse /

Fossan, le plus agréable & le plus spirituel de tous les Danseurs comiques, a fait tourner la tête aux éleves de Terpsichore; tous ont voulu le copier, même sans l'avoir vu. On a sacrifié le beau genre au trivial; on a secoué le joug des principes; on a dé- daigné & rejetté toutes les regles; on s'est livré à des sauts, à des tours de force; on a cessé de danser, & l'on s'est cru Pantomime, comme si l'on pouvoit être déclaré tel, lorsqu'on manque totalement par l'expression; lorsqu'on ne peint rien; lorsque la Danse est totalement défigurée par des charges grossieres; lorsqu'elle se borne à des contorsions hideuses; lorsque le masque Sur la Danse. grimace à contre-sens, enfin lorsque l'action qui devoit être accompagnée & soutenue par la grace est une suite d'efforts répétés, d'autant plus désagréables pour le Spectateur qu'il souffre lui-même du travail pénible & forcé de l'exécutant. Tel est cependant, Monsieur, le genre dont le Théatre est en possession; & il faut convenir que nous sommes riches en sujets de cette espece. Cette fureur d'imiter ce qui n'est pas imitable, fait & fera la perte d'un nombre infini de Danseurs & de Maîtres de Ballets. La parfaiteimitation, demande que l'on ait en soi le même goût, les mêmes dispositions, la même conformation, la même intelligence, & les mêmes organes de l'original que l'on se propose d'imiter; or comme il est rare de trouver deux Lettres êtres également ressemblants en tout, il est aussi rare de trouver deux hommes dont les talents, le genre & la maniere soient exactement semblables. Le mêlange que les Danseurs ont fait de la cabriole avec la belle Danse a altéré son caractere & dégradé sa noblesse; c'est un alliage qui diminue sa valeur & qui s'oppose, ainsi que je le prouverai dans la suite, à l'expression vive & à l'action animée qu'elle pourroit avoir, si elle se dégageoit de toutes les inutilités qu'elle met au nombre de ses perfections. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on donne le titre de Ballet à des Danses figurées que l'on ne devroit appeller que du nom de divertissement; on prodigua jadis ce titre à toutes les fêtes éclatantes qui se donnerent dans les différentes Cours de Sur la Danse. l'Europe. L'examen que j'ai fait de toutes ces fêtes me persuade que l'on a eu tort de le leur accorder. Je n'y ai jamais vu la Danse en action; les grands récits étoient mis en usage au défaut de l'expression des Danseurs, pour avertir leSpectateur de ce qu'on alloit repré- senter; preuve très-claire & très-convaincante de leur ignorance, ainsi que du silence & de l'inefficacité de leursmouvements. Dès le troisieme siecle on commençoit à s'appercevoir de la monotonie de cet Art, & de la négligence des Artistes; St. Augustin lui-même, en parlant des Ballets, dit qu'on étoit obligé de placer sur le bord de la Scene un homme qui expliquoit à haute voix l'action qu'on alloit peindre. Sous le regne de Louis XIV, les récits, les dialogues & les monologues ne ser- Lettres voient-ils pas également d'interpretes à la Danse? Elle ne faisoit que bégayer. Ses sons foibles & inarticulés avoient besoin d'être soutenus par la Musique & d'être expliqués par la Poésie, ce qui équivaut sans doute à l'espece de Héros d'Armes du Théatre, au Crieur public dont je viens de vous parler. Il est en vérité bien étonnant, Monsieur, que l'époque glorieuse du triomphe des beaux Arts, de l'émulation & des progrès des Artistes, n'ait point été celle d'une révolution dans la Danse & dans les Ballets; & que nos Maîtres, non moins encouragés & non moins excités alors par les succès qu'ils pouvoient se promettre dans un siecle où tout sem- bloit élever & seconder le génie, soient demeurés dans la langueur & dans une honteuse médiocrité. Vous savez que le Sur la Danse.langage de la Peinture, de la Poésie & de la Sculpture, étoit déjà celui de l'éloquence & de l'énergie. La Musique, quoiqu'encore au berceau, commençoit à s'exprimer avec noblesse; cependant la Danse étoit sans vie, sans caractere & sans action. Si le Ballet est le frere aîné des autres Arts, ce n'est qu'autant qu'il en réunira les perfections; mais on ne sauroit lui déférer ce titre glorieux dans l'état pitoyable où il se trouve, & convenez avec moi, Monsieur, que ce frere aîné fait pour plaire, est un sujet déplorable, sans goût, sans esprit, sans imagination, & qui mérite à tous égards l'indifférence & le mépris de ses sœurs.


18 - Lettres sur la danse /

Conséquemment un Ballet bien fait peut se passer aisément du secours des paroles; j'ai même remarqué qu'elles refroidissoient l'action, qu'elles affoiblissoient l'intérêt. Je ne fais aucun cas d'un sujet Pantomime qui pour se faire entendre, a recours au récit ou au dialogue. Tout Ballet qui dénué d'intrigue, d'action vive & d'intérêt, ne me déploie que les beautés méchaniques de l'Art, & qui décoré d'un titre ne m'offre rien d'intelligible, ressemble à ces Portraits & à ces Tableaux que les premiers Peintres firent, au bas desquels ils étoient obligés d'écrire le nom des personnages qu'ils avoient voulu peindre, & l'action qu'ils devoient représenter; tant l'imitation étoit imparfaite, le sentiment foiblement exprimé, la passion mal rendue, Lettres le dessein peu correct, & le coloris peu vraisemblable. Lorsque les Danseurs animés par le sentiment, se transformeront sous mille formes différentes avec les traits variés des passions; lorsqu'ils seront des prothées, & que leur physionomie & leurs regards traceront tous les mouvements de leur ame; lorsque leurs bras sortiront de ce chemin étroit que l'école leur a prescrit; & que parcourant avec autant de grace que devérité un espace plus considérable, ils décriront par des positions justes les mouvements successifs des passions; lorsqu'enfin ils associeront l'esprit & legénie à leur Art; ils se distingueront; les récits dès-lors deviendront inutiles; tout parlera, chaque mouvement dictera une phrase; chaque attitude peindra une situation; chaque geste dévoilera Sur la Danse. une pensée; chaque regard annoncera un nouveau sentiment; tout sera séduisant parce que tout sera vrai, & que l'imitation sera prise dans la nature.


19 - Lettres sur la danse /

Sans être Musicien, un Poëte ne Sur la Danse. peut-il pas sentir si tel trait de Musique rend sa pensée, si tel autre n'affoiblit pas l'expression; si celui-ci prête de la force à la passion, & donne des graces & de l'énergie au sentiment? Sans être Peintre- Décorateur, ne peut-il pas concevoir si telle décoration qui doit représenter une Forêt de l'Affrique, n'emprunte pas la forme de celle de Fontainebleau? Si telle autre qui doit offrir une rade de l'Amérique, ne ressemble pas à celle de Toulon? si celle-ci qui doit montrer le Palais de quelque Empereur du Japon, ne se rapproche pas trop de celui de Versailles? & si la derniere qui doit tracer les jardins de Sémiramis, n'offre pas ceux de Marly? Sans être Danseur & Maître de Ballets, il peut également s'appercevoir de la confusion qui y régnera, du peu d'expression Lettres des exécutans; il peut, dis-je, sentir si son action est rendue avec chaleur; si les Tableaux en sont assez frappants; si la Pantomime est vraie, & si le caractere de la Danse répond au caractere du Peuple & de la Nation qu'elle doit représenter. Ne peut-il pas encore sentir les défauts qui se rencontrent dans les vêtements par des négligences ou un faux goût, qui s'éloignant du Costume détruit toute illusion? A-t-il besoin enfin d'être machiniste pour s'appercevoir que telle machine ne marche point avec promptitude? Rien de si simple que d'en condamner la lenteur, ou d'en admirer la précision & la vîtesse. Au reste, c'est au Machiniste à remé- dier à la mauvaise combinaison qui s'oppose à leurs effets, à leur jeu & à leur activité.


20 - Lettres sur la danse /

M. Garrick célebre Comédien Anglois est le mod ele que je vais proposer. Il n'en est pas de plus beau, de plus parfait & de plus digne d'admiration; il peut être regardé comme le Prothée de nos jours car il réunit tous les genres, & les rend avec une perfection & une vérité qui lui attirent non seulement les applaudissements & les suffrages de sa Nation, mais qui excitent encore l'admiration & les éloges de tous les étrangers. Il est si naturel, son expression a tant de vérité, ses gestes, sa physionomie & ses regards sont si éloquents & si persuasifs, qu'ils mettent au fait de la Scene ceux mê- mes qui n'entendent point l'Anglois; on le suit sans peine; il to{??}uche dans le Lettres Pathétique; il fait éprouver dans leTragique les mouvements successifs despassions les plus violentes, & si j'ose m'exprimer ainsi, il arrache les entrailles du Spectateur, il déchire son cœur, il perce son ame, & lui fait répandre des larmes de sang. Dans le Comique noble il séduit & il enchante; dans le genre moins élevé il amuse & divertit, & il s'arrange au Théatre avec tant d'Art, qu'il est souvent méconnu des personnes qui vivent habituellement avec lui. Vous connoissez la quantité immense des caracteres que présente le Théatre Anglois: il les joue tous avec la même supériorité; il a, pour ainsi dire, un visage différent pour chaque rôle; il sait distribuer à propos & suivant que les caracteres l'exigent, quelques coups de pinceau sur les endroits où la physionomie doit Sur la Danse. se groupper & faire Tableau; l'âge, la situation, le caractere, l'emploi & le rang du Personnage qu'il doit repré- senter déterminent ses couleurs & ses pinceaux. Ne pensez pas que ce grand Acteur soit bas, trivial & grimacier; fidelle imitateur de la nature, il en sait faire le plus beau choix, il la montre toujours dans des positions heureuses & dans des jours avantageux; il conserve la décence que le Théatre exige dans les Rôles même les moins susceptibles de graces & d'agréments; il n'est jamais au-dessous ni au-dessus du Personnage qu'il fait; il saisit ce point juste d'imitation que les Comédiens manquent presque toujours; ce tact heureux qui caractérise le grand Acteur & qui le conduit à la vérité, est un talent{??} rare que M. Garrick possede; talent{??} Lettres d'autant plus estimable, qu'il empêche l'Acteur de s'égarer & de se tromper dans les teintes qu'il doit employer dans ses Tableaux; car on prend souvent le froid pour la décence, la monotonie pour le raisonnement, l'air guindé pour l'air noble, la minauderie pour les graces, les poumons pour les entrailles, la multiplicité des gestes pour l'action, l'imbécillité pour la naïveté, la volubilité sans nuances pour le feu, & les contorsions de la physionomie pour l'expression vive de l'ame. Ce n'est point tout cela chez M. Garrick: il étudie ses rôles, & plus encore les passions. Fortement attaché à son état, il se renferme en lui-même, & se dérobe à tout le monde les jours qu'il joue des rôles importants; son génie l'éleve au rang du Prince qu'il doit représenter; il en Sur la Danse. prend les vertus & les foiblesses; il en saisit le caractere & les goûts; il se transforme; ce n'est plus Garrick à qui l'on parle, ce n'est plus Garrick que l'on entend: la métamorphose une fois faite, le Comédien disparoît & le Héros se montre; il ne reprend sa forme naturelle que lorsqu'il a rempli les devoirs de son état. Vous concevez, Monsieur, qu'il est peu libre; que son ame est toujours agitée; que son imagination travaille sans cesse; qu'il est les trois quarts de sa vie dans un Enthousiasme fatigant qui altere d'autant plus sa santé qu'il se tourmente & qu'il se pénétre d'une situation triste & malheureuse, vingt-quatre heures avant de la peindre & de s'en délivrer. Rien de si gai que lui au contraire les jours où il doit représenter un Poëte, un Lettres Artisan, un Homme du Peuple, un Nouvelliste, un petit Maître; car cette espece regne en Angleterre, sous une autre forme à la vérité que chez nous; le génie différera, si vous le voulez, mais l'expression du ridicule & de l'impertinence est égale; dans ces sortes de rôles, dis-je, sa physionomie se déploie avec naïveté; son ame y est toujours répandue; ses traits sont autant de rideaux qui se tirent adroitement, & qui laissent voir à chaque instant de nouveaux Tableaux peints par le sentiment & lavérité. On peut sans partialité le regarder comme le Roscius de l'Angleterre, puisqu'il réunit à la diction, au débit, au feu, au naturel, à l'esprit & à la finesse cette Pantomime & cette expression rare de la Scene muette, qui caractérisent le grand Acteur & le parfait Sur la Danse.Comédien. Je ne dirai plus qu'un mot au sujet de cet Acteur distingué, & qui va désigner la supériorité de ses talents. Je lui ai vu représenter une Tragédie à laquelle il avoit retouché, car il joint au mérite d'exceller dans la Comédie celui d'être le Poëte le plus agréable de sa Nation; je lui ai vu, dis-je, jouer un tyran, qui effrayé de l'énormité de ses crimes, meurt déchiré de ses remords. Le dernier Acte n'étoit employé qu'aux regrets & à la douleur; l'humanité triomphoit des meurtres & de la barbarie; le tyran sensible à sa voix dé- testoit ses crimes; ils devenoient par gradations ses Juges & ses Bourreaux; la mort à chaque instant s'imprimoit sur son visage; ses yeux s'obcurcissoient; sa voix se prêtoit à peine aux efforts qu'il faisoit pour articuler sa pensée; Lettres ses gestes, sans perdre de leur expression caractérisoient les approches du dernier instant; ses jambes se déroboient sous lui; ses traits s'allongoient; son teint pâle & livide n'empruntoit sa couleur que de la douleur & du repentir; il tomboit enfin dans cet instant, ses crimes se retraçoient à son imagination sous des formes horribles. Effrayé des Tableaux hideux que ses forfaits lui présentoient, il luttoit contre la mort; la nature sembloit faire un dernier effort: cette situation faisoit frémir. Il grattoit la terre, il creusoit en quelque façon son tombeau; mais le moment approchoit, on voyoit réellement la mort; tout peignoit l'instant qui ramene à l'égalité; il expiroit enfin: le hoquet de la mort & les mouvements convulsifs de la Physionomie, des bras Sur la Danse. & de la poitrine, donnoient le dernier coup à ce Tableau terrible.


21 - Lettres sur la danse /

Mais passons aux tics; c'est une objection si foible, qu'il ne me sera pas difficile d'y répondre. Les tics, les contorsions & les grimaces prennent moins naissance de l'habitude, que des efforts violents que l'on fait pour sauter; efforts qui contractant tous les muscles, font grimacer les traits de cent manieres différentes, & auxquels je ne peux reconnoître qu'un Forç{??}at & non un Lettres Danseur & un Artiste. Tout Danseur qui altere ses traits par des efforts & dont le visage est sans cesse en convulsion, est un Danseur sans ame qui ne pense qu'à ses jambes, qui ignore les premiers éléments de son Art, qui ne s'attache qu'à la partie grossiere de la Danse & qui n'en a jamais senti l'esprit. Un tel homme est fait pour aller faire le saut périlleux: le Tramplain* & la Batoude doivent être son Théatre puisqu'il a sacrifié l'imitation, le génie & les charmes de son Art à une routine qui l'avilit; puisqu'au lieu de s'attacher à peindre & à sentir, il ne s'est appliqué qu'à la méchanique de son talent; puisqu'enfin sa physionomie ne montre que la peine & la douleur, lorsqu'elle* Planches posées de maniere qu'elles ont une grande élasticité, ce qui facilite les sauts périlleux des Danseurs de corde.Sur la Danse. ne devroit me tracer que les passions & les affections de son ame: un tel homme enfin n'est qu'un mal-adroit dont l'exécution pénible est toujours désagréable. Eh! qui peut nous flatter davantage, Monsieur, que l'aisance & la facilité? Les difficultés ne sont en droit de plaire que lorsqu'elles se présentent avec les traits du goût & des graces, & qu'elles empruntent enfin cet air noble & aisé, qui dérobant la peine ne laisse voir que la légéreté. Les Danseuses de nos jours ont, proportion gardée, plus d'exécution que les hommes; elles font tout ce qu'il est possible de faire. Mlle. Lany embarrassera toujours un Danseur, s'il n'est ferme & vigoureux, vif, brillant & précis. Je demanderai donc pourquoi les Danseuses conservent les graces de leur physionomie dans les instants Lettres les plus violents de leur exécution? Pourquoi les muscles du visage ne secontractent-ils pas, lorsque toute la machine est ébranlée par des secousses violentes & par des efforts réitérés? Pourquoi, dis-je, les femmesnaturellement moins nerveuses, moins musculeuses & moins fortes que nous, ont-elles la physionomie tendre & voluptueuse, vive & animée, & toujours expressive, lors même que les ressorts & les muscles qui coopérent à leurs mouvements, sont dans une contention forcée, & qui contraint la nature? D'où vient enfin ont-elles l'Art de dérober la peine, de cacher le travail du corps & les impressions désagréables, en substituant à la grimace convulsive qui naît des efforts la finesse de l'expression la plus délicate & la plus tendre? C'est qu'elles Sur la Danse. apportent une attention particuliere à l'exercice; qu'elles savent qu'une contorsion enlaidit les traits, & change le caractere de la physionomie; c'est qu'elles sentent que l'ame se déploie sur le visage, qu'elle se peint dans les yeux, qu'elle anime & vivifie les traits; qu'elles sont persuadées enfin que la physionomie est, ainsi que je l'ai dit, la partie de nous-mêmes où toute l'expression se rassemble, & qu'elle est le miroir fidelle de nos sentiments, de nos mouvements & de nos affections. Aussi mettent-elles plus d'ame, plus d'expression & plus d'intérêt dans leur exécution que les hommes. En apportant le même soin qu'elles, nous ne serons ni affreux ni désagréables; nous ne contracterons plus d'habitude vicieuse; nous n'aurons plus de tics, & nous pourrons nous passer Lettres d'un masque qui dans cette circonstance aggrave le mal sans le détruire; c'est une emplâtre qui dérobe aux yeux les imperfections, mais qui les laisse subsister. Le remede néanmoins ne pourra s'appliquer, si l'on cache continuellement sa physionomie. En effet, quel conseil peut-on donner à un masque? il seroit toujours froid & maussade en dépit des bons avis. Que l'on dépouille la Physionomie de ce corps étranger; que l'on abolisse cet usage qui donne des entraves à l'ame & qui l'empêche de se dé- ployer sur les traits; alors on jugera le Danseur, on estimera son jeu. Celui qui joindra aux difficultés & aux graces de l'Art cette Pantomime vive & animée, & cette expression rare de sentiment, recevra avec le titre d'excellent Danseur, celui de parfait Comédien; Sur la Danse. les éloges l'encourageront, les avis & les conseils des connoisseurs le conduiront à la perfection de son Art. „On lui diroit alors, votre physionomie étoit trop froide dans tel endroit; dans tel autre vos regards n'étoient pas assez animés; le sentiment que vous aviez à peindre étant foible au-dedans, n'a pu se manifester au dehors avec assez de force & d'énergie; aussi vos gestes & vos attitudes se sont-ils ressentis du peu de feu que vous avez mis dans l'action; livrez-vous donc davantage une autre fois; pénétrez-vous de la situation que vous avez à rendre, & n'oubliez jamais que pour bien peindre, il faut sentir, mais sentir vivement. „De tels conseils, Monsieur, rendroient la Danse aussi florissante que la Pantomime l'étoit chez les anciens, & lui Lettres donneroit un lustre qu'elle n'atteindra jamais, tant que l'habitude prévaudra sur le bon goût.


22 - Lettres sur la danse /

Mais passons aux tics; c'est une objection si foible, qu'il ne me sera pas difficile d'y répondre. Les tics, les contorsions & les grimaces prennent moins naissance de l'habitude, que des efforts violents que l'on fait pour sauter; efforts qui contractant tous les muscles, font grimacer les traits de cent manieres différentes, & auxquels je ne peux reconnoître qu'un Forç{??}at & non un Lettres Danseur & un Artiste. Tout Danseur qui altere ses traits par des efforts & dont le visage est sans cesse en convulsion, est un Danseur sans ame qui ne pense qu'à ses jambes, qui ignore les premiers éléments de son Art, qui ne s'attache qu'à la partie grossiere de la Danse & qui n'en a jamais senti l'esprit. Un tel homme est fait pour aller faire le saut périlleux: le Tramplain* & la Batoude doivent être son Théatre puisqu'il a sacrifié l'imitation, le génie & les charmes de son Art à une routine qui l'avilit; puisqu'au lieu de s'attacher à peindre & à sentir, il ne s'est appliqué qu'à la méchanique de son talent; puisqu'enfin sa physionomie ne montre que la peine & la douleur, lorsqu'elle* Planches posées de maniere qu'elles ont une grande élasticité, ce qui facilite les sauts périlleux des Danseurs de corde.Sur la Danse. ne devroit me tracer que les passions & les affections de son ame: un tel homme enfin n'est qu'un mal-adroit dont l'exécution pénible est toujours désagréable. Eh! qui peut nous flatter davantage, Monsieur, que l'aisance & la facilité? Les difficultés ne sont en droit de plaire que lorsqu'elles se présentent avec les traits du goût & des graces, & qu'elles empruntent enfin cet air noble & aisé, qui dérobant la peine ne laisse voir que la légéreté. Les Danseuses de nos jours ont, proportion gardée, plus d'exécution que les hommes; elles font tout ce qu'il est possible de faire. Mlle. Lany embarrassera toujours un Danseur, s'il n'est ferme & vigoureux, vif, brillant & précis. Je demanderai donc pourquoi les Danseuses conservent les graces de leur physionomie dans les instants Lettres les plus violents de leur exécution? Pourquoi les muscles du visage ne secontractent-ils pas, lorsque toute la machine est ébranlée par des secousses violentes & par des efforts réitérés? Pourquoi, dis-je, les femmesnaturellement moins nerveuses, moins musculeuses & moins fortes que nous, ont-elles la physionomie tendre & voluptueuse, vive & animée, & toujours expressive, lors même que les ressorts & les muscles qui coopérent à leurs mouvements, sont dans une contention forcée, & qui contraint la nature? D'où vient enfin ont-elles l'Art de dérober la peine, de cacher le travail du corps & les impressions désagréables, en substituant à la grimace convulsive qui naît des efforts la finesse de l'expression la plus délicate & la plus tendre? C'est qu'elles Sur la Danse. apportent une attention particuliere à l'exercice; qu'elles savent qu'une contorsion enlaidit les traits, & change le caractere de la physionomie; c'est qu'elles sentent que l'ame se déploie sur le visage, qu'elle se peint dans les yeux, qu'elle anime & vivifie les traits; qu'elles sont persuadées enfin que la physionomie est, ainsi que je l'ai dit, la partie de nous-mêmes où toute l'expression se rassemble, & qu'elle est le miroir fidelle de nos sentiments, de nos mouvements & de nos affections. Aussi mettent-elles plus d'ame, plus d'expression & plus d'intérêt dans leur exécution que les hommes. En apportant le même soin qu'elles, nous ne serons ni affreux ni désagréables; nous ne contracterons plus d'habitude vicieuse; nous n'aurons plus de tics, & nous pourrons nous passer Lettres d'un masque qui dans cette circonstance aggrave le mal sans le détruire; c'est une emplâtre qui dérobe aux yeux les imperfections, mais qui les laisse subsister. Le remede néanmoins ne pourra s'appliquer, si l'on cache continuellement sa physionomie. En effet, quel conseil peut-on donner à un masque? il seroit toujours froid & maussade en dépit des bons avis. Que l'on dépouille la Physionomie de ce corps étranger; que l'on abolisse cet usage qui donne des entraves à l'ame & qui l'empêche de se dé- ployer sur les traits; alors on jugera le Danseur, on estimera son jeu. Celui qui joindra aux difficultés & aux graces de l'Art cette Pantomime vive & animée, & cette expression rare de sentiment, recevra avec le titre d'excellent Danseur, celui de parfait Comédien; Sur la Danse. les éloges l'encourageront, les avis & les conseils des connoisseurs le conduiront à la perfection de son Art. „On lui diroit alors, votre physionomie étoit trop froide dans tel endroit; dans tel autre vos regards n'étoient pas assez animés; le sentiment que vous aviez à peindre étant foible au-dedans, n'a pu se manifester au dehors avec assez de force & d'énergie; aussi vos gestes & vos attitudes se sont-ils ressentis du peu de feu que vous avez mis dans l'action; livrez-vous donc davantage une autre fois; pénétrez-vous de la situation que vous avez à rendre, & n'oubliez jamais que pour bien peindre, il faut sentir, mais sentir vivement. „De tels conseils, Monsieur, rendroient la Danse aussi florissante que la Pantomime l'étoit chez les anciens, & lui Lettres donneroit un lustre qu'elle n'atteindra jamais, tant que l'habitude prévaudra sur le bon goût.


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