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31 - Lettres sur la danse /

Telle est la vicissitude des choses & leur instabilité. Les Arts ainsi que les Empires sont sujets à révolution; ce qui brille aujourd'hui avec le plus d'é- clat, dégénére ensuite & tombe au bout de quelque temps dans une langueur & une obscurité profonde. Quoi qu'il en soit, (& les sentiments à cet égard sont uniformes) les anciens parloient Sur la Danse. avec les mains; leurs doigts étoient, pour ainsi dire, autant de langues qui s'exprimoient avec facilité, avec force & avec énergie; le climat, le tempé- rament & l'application que l'on apportoit à perfectionner l'Art du geste, l'avoient porté à un degré de sublimité que nous n'atteindrons jamais si nous ne nous donnons les mêmes soins qu'eux pour nous distinguer dans cette partie. La dispute de Ciceron & de Roscius, à qui rendroit mieux la pensée, Ciceron par le tour & l'arrangement des mots, & Roscius par le mouvement des bras & l'expression de la physionomie, prouve très-clairement que nous ne sommes encore que des enfants; que nous n'avons que des mouvementsmachinaux & indéterminés, sans Lettres signification, sans caractere & sans vie.


32 - Lettres sur la danse /

Instruit des principes fondamentaux de notre Art, suivons les mouvements de notre ame, elle ne peut nous trahir lorsqu'elle sent vivement; & si dans ces instants elle entraîne le bras à tel ou tel geste, il est toujours aussi juste que correctement dessiné, & son Lettres effet est sûr. Les passions sont les ressorts qui font jouer la machine: quels que soient les mouvements qui en résultent, ils ne peuvent manquer d'être vrais. Il faut conclure d'après cela que les préceptes stériles de l'Ecole doivent disparoître dans la Danse en action pour faire place à la nature.


33 - Lettres sur la danse /

Que mes confreres se persuadent que j'entends par gestes les mouvements expressifs des bras soutenus par les caracteres frappants & variés de la physionomie. Les mains d'un Danseur habile doivent, pour ainsi dire, parler; si son visage ne joue point; si l'altération que les passions impriment sur les traits n'est pas sensible; si ses yeux ne déclament point & ne décélent pas la situation de son cœur, son expression dès-lors est fausse, son jeu est machinal, & l'effet qui en résulte péche par le désagrément & par le défaut de vérité & devraisemblance.


34 - Lettres sur la danse /

Un grand Violon d'Italie arrive-t-il à Paris, tout le monde le court & personne ne l'entend; cependant on crie au miracle. Les oreilles n'ont point été flattées de son jeu, ses sons n'ont pointtouché, mais les yeux se sont amusés; il a démanché avec adresse, ses doigts ont parcouru le manche avec légéreté; que dis-je? il a été jusqu'au chevalet; il a accompagné ces difficultés de plusieurs contorsions qui étoient autant d'invitations, & qui vouloient dire,Messieurs, regardez-moi, mais ne m'é- coutez-pas: ce passage est diabolique; il ne flattera pas votre oreille, quoiqu'il fasse grand bruit, mais il y a vingt ans que je l'étudie. L'applaudisse- Lettres ment part; les bras & les doigts méritent des éloges, & on accorde à l'hommemachine & sans tête, ce que l'on refusera constamment de donner à unViolon François qui réunira au brillant de la main, l'expression, l'esprit, legénie & les graces de son Art.


35 - Lettres sur la danse /

Le défaut de lumieres & la stupidité qui regne parmi la plupart des Danseurs, prend sa source de la mauvaiseéducation qu'ils reçoivent ordinairement. Ils se livrent au Théatre, moins pour s'y distinguer que pour secouer le joug de la dépendance; moins pour Lettres se dérober à une profession plus tranquille, que pour jouir des plaisirs qu'ils croient y rencontrer à chaque instant; ils ne voient dans ce premier moment d'enthousiasme que les roses du talent qu'ils veulent embrasser; ils apprennent la danse avec fureur; leur goût se ralentit à mesure que les difficultés se font sentir & qu'elles se multiplient; ils ne saisissent que la partie grossiere de l'Art; ils sautent plus ou moins haut; ils s'attachent à former machinalement une multitude de pas, & semblables à ces enfants qui disent beaucoup de mots sans esprit & sans suite, ils font beaucoup de pas sans génie, sans goût & sans graces.


36 - Lettres sur la danse /

Il n'est pas possible d'imprimer cet intérêt en récitant machinalement de beaux vers, & en faisant tout simplement Sur la Danse. de beaux pas; il faut que l'ame, la physionomie, le geste & les attitudes parlent toutes à la fois, & qu'elles parlent avec autant d'énergie que de vérité. Le Spectateur se mettra-t-il à la place de l'Acteur, si celui-ci ne se met à celle du Héros qu'il représente? Peut-il espérer d'attendrir & de faire verser des larmes, s'il n'en répand lui-même? Sa situation touchera-t-elle, s'il ne la rend touchante, & s'il n'en paroît vivement affecté?


37 - Lettres sur la danse /

Pour que notre Art parvienne à ce degré de sublimité que je demande & que je lui souhaite, il est indispensablement nécessaire que les Danseurs partagent leur temps & leurs études entre l'esprit & le corps, & que tous les deux soient ensemble l'objet de leurs réflexions; mais on donne malheureusement tout au dernier, & l'on refuse tout à l'autre. La tête conduit rarement les jambes, & comme l'esprit & le génie ne résident pas dans les pieds, on s'é- gare souvent, l'homme s'éclipse, il n'en reste qu'une machine mal combinée, livrée à la stérile admiration des sots & au juste mépris des connoisseurs.


38 - Lettres sur la danse /

Malheureusement il est peu de Danseurs capables de ce retour sur eux- mêmes. Les uns aveuglés par l'amour propre imaginent être sans défauts; les autres ferment, pour ainsi dire, les yeux sur ceux que l'examen le plus léger leur feroit découvrir; or dès qu'ils ignorent ce que tout homme qui a quelques lumieres est en droit de leur Sur la Danse. reprocher, leurs travaux ne sont étayés sur aucuns principes raisonnés & suivis; ils dansent moins en hommes qu'enmachines; l'arrangement disproportionné des parties s'oppose sans cesse en eux au jeu des ressorts & à l'harmonie qui devroit former un Ensemble; plus de liaison dans les pas; plus de moëlleux dans les mouvements; plus d'élégance dans les attitudes & dans les oppositions; plus de proportions dans les déployements, & par conséquent plus de fermeté ni d'à-plomb. Voilà, Monsieur, où se réduit l'exécution des Danseurs qui croient que la Danse ne consiste que dans une action quelconque des bras & des jambes, & qui dédaignent de s'envisager eux- mêmes dans le moment de leur étude & de leurs exercices. Nous pouvons Lettres sans les offenser & en leur rendant la justice qui leur est due, les nommer les automates de la Danse.


39 - Lettres sur la danse /

Malheureusement il est peu de Danseurs capables de ce retour sur eux- mêmes. Les uns aveuglés par l'amour propre imaginent être sans défauts; les autres ferment, pour ainsi dire, les yeux sur ceux que l'examen le plus léger leur feroit découvrir; or dès qu'ils ignorent ce que tout homme qui a quelques lumieres est en droit de leur Sur la Danse. reprocher, leurs travaux ne sont étayés sur aucuns principes raisonnés & suivis; ils dansent moins en hommes qu'enmachines; l'arrangement disproportionné des parties s'oppose sans cesse en eux au jeu des ressorts & à l'harmonie qui devroit former un Ensemble; plus de liaison dans les pas; plus de moëlleux dans les mouvements; plus d'élégance dans les attitudes & dans les oppositions; plus de proportions dans les déployements, & par conséquent plus de fermeté ni d'à-plomb. Voilà, Monsieur, où se réduit l'exécution des Danseurs qui croient que la Danse ne consiste que dans une action quelconque des bras & des jambes, & qui dédaignent de s'envisager eux- mêmes dans le moment de leur étude & de leurs exercices. Nous pouvons Lettres sans les offenser & en leur rendant la justice qui leur est due, les nommer les automates de la Danse.


40 - Lettres sur la danse /

Le second remede à employer, est de conserver une fléxion continuelle Lettres dans l'articulation des genoux, & de paroître extrêmement tendu sans l'être en effet; c'est là, Monsieur, l'ouvrage du temps & de l'habitude; lorsqu'elle est fortement contractée, il est comme impossible de reprendre sa position naturelle & vicieuse sans des efforts qui causent dans ces parties un engourdissement & une douleur insupportable. J'ai connu des Danseurs qui ont trouvé l'Art de dérober ce défaut à tel point qu'on ne s'en seroit jamais apperçu, si l'entrechat droit & les temps trop forts ne les avoient dé- celés. En voici la raison; la contraction des muscles dans les efforts du saut roidit les articulations, & force chaque partie à rentrer dans sa place & à revenir à sa forme naturelle; les genoux ainsi forcés se portent donc en Sur la Danse. dedans, ils reprennent leur volume; ce volume met un obstacle aux battemens de l'entrechat; plus ces parties se joignent, plus celles qui leur sont inférieures s'éloignent; les jambes ne pouvant ni battre ni croiser, restent comme immobiles au moment de l'action des genoux qui roulent désagréablement l'un sur l'autre, & l'entrechat n'étant ni coupé, ni battu, ni croisé par le bas, ne sauroit avoir la vîtesse & le brillant qui en font le mérite. Rien n'est si difficile à mon sens que de masquer nos défauts, sur-tout dans les instants d'une exécution forte où toute la machine est ébranlée, où elle reçoit des secousses violentes & réitérées, & où elle se livre à des mouvements contraires & à des efforts continuels & multipliés. Si l'Art peut alors Lettres l'emporter sur la nature, de quels éloges le Danseur ne se rend-il pas digne?


41 - Lettres sur la danse /

Je ne vous parlerai point d'une machine que l'on nomme tourne-hanche, machine mal imaginée & mal combinée, qui loin d'opérer efficacement estropie ceux qui s'en servent, en imprimant dans la ceinture un défaut beaucoup plus désagréable que celui qu'on veut détruire.


42 - Lettres sur la danse /

En gênant les doigts de quiconque joue d'un instrument, parviendra-t-on à lui donner un jeu vif & une cadence brillante? Non, sans doute; ce n'est que l'usage libre de la main & des jointures qui peut lui procurer cette vîtesse, ce brillant & cette précision qui sont l'ame de l'exécution. Comment donc un Danseur réussira-t-il à avoir toutes ces perfections, s'il passe la moitié de sa vie dans des entraves? Oui, Monsieur, l'usage de cette machine est pernicieux. Ce n'est point par la violence que l'on corrige un défautinné; c'est l'ouvrage du temps, de l'étude & de l'application.


43 - Lettres sur la danse /

Il est encore des personnes qui com- Sur la Danse. mencent trop tard, & qui prennent la Danse dans l'âge où l'on doit songer à la quitter. Vous comprenez que dans cette circonstance les machines n'opé- rent pas plus efficacement que le travail; j'ai connu des hommes qui se donnoient une question d'autant plus douloureuse que tout en eux étant formé, ils étoient privés de cette souplesse qui se perd avec la jeunesse. Un défaut de trente-cinq ans est un vieux défaut; il n'est plus temps de le détruire ni de le pallier.


44 - Lettres sur la danse /

La plante du pied est la vraie base sur laquelle porte toute notre machine. Un Sculpteur courroit risque de perdre son ouvrage s'il ne l'étayoit que sur uncorps rond & mouvant; la chûte de sa statue seroit inévitable, elle se romproit & se briseroit infailliblement. Le Danseur par la même raison doit se servir de tous les doigts de ses pieds, comme Sur la Danse d'autant de branches dont l'écartement sur le sol augmentant l'espace de son appui affermit & maintient son corps dans l'équilibre juste & convenable; s'il néglige de les étendre, s'il ne mord en quelque façon la planche pour se cramponner & se tenir ferme, il s'ensuivra une foule d'accidents. Le pied perdra sa forme naturelle, il s'arrondira & vacillera sans cesse & de côté, du petit doigt au pouce, & du pouce au petit doigt: cette espece de roulis occasionné par la forme convexe que l'extrêmité du pied prend dans cette position, s'oppose à toute stabilité; les chevilles chancellent & se déplacent; & vous sentez, Monsieur, que dans le temps où la masse tombera d'une certaine hauteur, & ne trouvera pas dans sa base un point fixe capable de la Lettres recevoir & de terminer sa chûte, toutes les articulations seront blessées de ce choc & de cet ébranlement; & l'instant où le Danseur tentera de chercher une position ferme, & où il fera les plus violents efforts pour se dérober au danger, sera toujours celui où il succombera, soit ensuite d'une entorse, soit ensuite de la rupture de la jambe ou du tendon. Le passage subit du relâ- chement à une forte tension & de la flexion à une extension violente est donc l'occasion d'une foule d'accidents qui seroient sans doute moins fréquents, si l'on se prêtoit, pour ainsi dire, à la chûte, & si les parties foibles ne tentoient pas de résister contre un poids qu'elles ne peuvent ni soutenir ni vaincre; & l'on ne sauroit trop se précautionner contre les Sur la Danse. fausses positions, puisque les suites en sont si funestes.


45 - Lettres sur la danse /

Ce seroit encore une autre erreur que de se persuader qu'un homme fort & vigoureux doit s'élever davantage qu'un homme foible & délié. L'expérienceLettres nous prouve tous les jours le contraire. Nous voyons d'une part des Danseurs qui coupent leurs temps avec force, qui les battent avec autant de vigueur que de fermeté, & qui ne parviennent cependant qu'à une élévation perpendiculaire fort médiocre; car l'élévation oblique ou de côté doit être distinguée. Elle est, si j'ose le dire, feinte & ne dé- pend entiérement que de l'adresse; d'un autre côté, nous avons des hommes foibles dont l'exécution est moins nerveuse, plus propre que forte, plus adroite que vigoureuse, & qui s'é- levent prodigieusement. C'est donc, Monsieur, à la forme du pied, à sa conformation, à la longueur du tendon, à son élasticité que l'on doit primitivement l'élévation du corps; les genoux, les reins & les bras coopérent unani- Sur la Danse. mement & de concert à cette action: plus la pression est forte, plus la réaction est grande, & par conséquent plus le saut a d'élévation. La flexion des genoux & leur extension participent auxmouvements du coudepied & du tendon d'Achille que l'on doit regarder comme les ressorts les plus essentiels. Les muscles du tronc se prêtent à cette opération & maintiennent le corps dans une ligne perpendiculaire, tandis que les bras qui ont concouru imperceptiblement à l'effort mutuel de toutes les parties servent, pour ainsi dire, d'ailes & de contrepoids à la machine. Considérez, Monsieur, tous les animaux qui ont le tendon mince & allongé, les cerfs, les chevreuils, les moutons, les chats, les singes, &c. & vous verrez que ces animaux ont une vîtesse & une facilité Lettres à s'élever que les animaux différemment construits ne peuvent avoir.