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16 - Lettres sur la danse /

Nos productions tiennent souvent encore du merveilleux. Plusieurs d'entr'elles exigent des machines: il est, par exemple, peu de sujets dans Ovide, que l'on puisse rendre, sans y associer les changements, les vols, les métamorphoses, &c. Il faut donc qu'un Maître de Ballets renonce aux Sujets de ce genre, s'il n'est machiniste lui- même. On ne trouve malheureusement Lettres en Province, que des manœuvres ou des garçons de Théatre, que la protection comique éleve par degré à ce grade; leurs talents consistent & se renferment dans la science de lever les lustres qu'ils ont mouchés long-temps, ou dans{??} celle de faire descendre par sacades une gloire mal équipée. Les Théatres d'Italie ne brillent point par les machines; ceux de l'Allemagne, construits sur les mêmes plans, sont également privés de cette partie enchanteresse du Spectacle; ensorte qu'un Maître de Ballets se trouve fort embarrassé dans ces Théatres, s'il n'a quelque connoissance du méchanisme; s'il ne peut développer ses idées avec clarté, & construire à cet effet de petits modeles, qui servent toujours plus à l'intelligence des ouvriers, que tous les discours, quelque clairs Sur la Danse. & quelque précis qu'ils puissent être.


17 - Lettres sur la danse /

Les Théatres de Paris & de Londres, sont ceux où l'on trouve dans ce genre les plus grandes ressources. Les Anglois sont ingénieux; leurs machines de Théatre sont plus simplifiées que les nôtres, aussi les effets en sont-ils aussi prompts que subtils. Chez eux tous les Ouvrages qui concernent la manœuvre, sont d'un fini & d'une délicatesse admirables; cette propreté, ce soin & cette exactitude qu'ils emploient dans les plus petites parties, peuvent contribuer sans doute à la vîtesse & à la précision. C'est principalement dans leurs Pantomimes, genre trivial, sans goût, sans intérêt, & d'une intrigue basse, que les chefs-d'œuvres du méchanisme se dé- ploient. On peut dire que ce Spectacle, qui entraîne après lui des dépenses Lettres immenses, n'est fait que pour des yeux que rien ne peut blesser, & qu'il réussiroit médiocrement sur nos Théatres où l'on n'aime la plaisanterie, qu'autant qu'elle est associée à la décence, qu'elle est fine & délicate, & qu'elle ne blesse ni les mœurs ni l'humanité.


18 - Lettres sur la danse /

Dans un Spectacle aussi riche en ressources que celui de notre Opéra, n'est- il pas choquant & ridicule de ne point trouver de dégradations dans les tailles, lorsqu'on s'y attache & qu'on s'en occupe dans les morceaux de Peinture qui ne sont qu'accessoires au Tableau? Jupiter par exemple, au haut de l'Olympe, ou Apollon au sommet du Parnasse, ne Lettres devroient-ils pas paroître plus petits à raison de l'éloignement que les Divinités & les Muses qui étant au-dessous d'eux sont plus rapprochés du Spectateur. Si pour faire illusion, le Peintre se soumet aux regles de la perspective, d'où vient que le Maître de Ballets qui est Peintre lui-même, ou qui devroit l'être, en secoue le joug? Comment les Tableaux plairont-ils, s'ils ne sont vraisemblables, s'ils sont sans proportion, & s'ils péchent contre les regles que l'Art a puisé dans la nature par la comparaison des objets? C'est dans les Tableaux fixes & tranquilles de la Danse que la dégradation doit avoir lieu; elle est moins importante dans ceux qui varient & qui se forment en dansant. J'entends par Tableau fixe tout ce qui fait grouppe dans Sur la Danse. l'éloignement; tout ce qui est dépendant de la décoration, & qui d'accord avec elle, forme une grande machine bien entendue.


19 - Lettres sur la danse /

Nous connoissons parfaitement le nom des hommes illustres qui se sont distingués alors, nous n'ignorons pas même ceux des Sauteurs, qui brilloient Lettres par leur souplesse & leur agilité, & nous n'avons qu'une idée très-imparfaite du nom de ceux qui composoient les Ballets; quelle sera donc celle que nous nous formerons de leurs talents? Je considere toutes les productions de ce genre dans les différentes Cours de l'Europe, comme des ombres incomplettes de ce qu'elles sont aujourd'hui & de ce qu'elles pourront être un jour; j'imagine que c'est à tort que l'on a donné ce nom à des Spectacles somptueux, à des Fêtes éclatantes qui réunissoient tout à la fois la magnificence des dé- corations, le merveilleux des machines, la richesse des vêtements, la pompe du costume, les charmes de laPoésie, de la Musique & de la Déclamation, le séduisant des voix, le brillant de l'artifice & de l'illumination, Sur la Danse. l'agrément de la Danse & des Ballets, l'amusement des Sauts périlleux & des tours de force: toutes ces parties détachées forment autant de Spectacles différents; ces mêmes parties réunies en composent un digne des plus grands Rois. Ces Fêtes étoient d'autant plus agréables qu'elles étoient diversifiées; que chaque Spectateur pouvoit y savourer ce qui étoit relatif à son goût & à son génie; mais je ne vois pas dans tout cela ce que je dois trouver dans le Ballet. Dégagé des préjuges de mon état, & de tout enthousiasme, je considere ce Spectacle compliqué comme celui de la variété & de la magnificence, ou comme la réunion intime des Arts aimables; ils y tiennent tous un rang égal; ils ont dans les Programmes les mêmes prétentions; je ne Lettres conçois pas néanmoins comment la Danse peut donner un titre à ces divertissements, puisqu'elle n'y est point enaction, qu'elle n'y dit rien, & qu'elle n'a nulle transcendance sur les autres Arts qui concourent unanimement & de concert aux charmes, à l'élégance & au merveilleux de ses représentations.


20 - Lettres sur la danse /

Le Poëte s'imagine que son Art l'é- leve au-dessus du Musicien; celui-ci craindroit de déroger s'il consultoit le Maître de Ballets; celui-là ne se com- Lettres munique point au Dessinateur; le Peintre décorateur ne parle qu'aux Peintres en sous-ordre, & le Machiniste enfin souvent méprisé du Peintre, commande souverainement aux manœuvres du Théatre. Pour peu que le Poëte s'humanisât, il donneroit le ton & les choses changeroient de face, mais il n'écoute que sa verve: dédaignant les autres Arts il ne peut en avoir qu'une foible idée; il ignore l'effet que chacun d'eux peut produire en particulier, & celui qui peut résulter de leur union & de leur harmonie; le Musicien à son exemple prend les paroles, il les parcourt sans attention, & se livrant à la fertilité de son génie, il compose de laMusique qui ne signifie rien, parce qu'il n'a pas entendu le sens de ce qu'il n'a lu que des yeux, ou qu'il sacrifie Sur la Danse. au brillant de son Art & au grouppe d'harmonie qui le flatte, l'expression vraie qu'il devroit attacher au récitatif. Fait-il une ouverture? elle n'est point relative à l'action qui va se passer; qu'importe après tout? n'est-il pas sûr de la réussite si elle fait grand bruit? Les airs de Danse sont toujours ceux qui lui coûtent le moins à composer; il suit à cet égard les vieux modeles; ses prédécesseurs sont ses guides; il ne fait aucun effort pour répandre de la variété dans ces sortes de morceaux & pour leur donner un caractere neuf; ce chant monotone dont il devroit se défier, qui assoupit la Danse & qui endort le Spectateur, est celui qui le séduit, parce qu'il lui coûte moins de peine à saisir, & que l'imitation servile des airs anciens n'exige ni un Lettresgoût, ni un talent, ni un génie supérieurs.


21 - Lettres sur la danse /

Le Machiniste est chargé du soin de présenter les Tableaux du Peintre dans Lettres le point de perspective & dans les diffé- rents jours qui leur conviennent; son premier soin est de ranger les morceaux de décorations avec tant de justesse, qu'ils n'en forment qu'un seul bien entendu & bien d'accord; son talent consiste à les présenter avec vîtesse, & à les dérober avec promptitude. S'il n'a pas l'Art de distribuer les lumieres à propos, il affoiblit l'ouvrage du Peintre & il renverse l'effet de la décoration. Telle partie du Tableau qui doit être éclairée devient noire & obscure; telle autre qui demande à être privée de lumiere se trouve claire & brillante. Ce n'est pas la grande quantité de lampions jetés au hazard, ou arrangés symmétriquement qui éclaire bien unThéatre & qui fait valoir la Scene; le talent consiste à savoir distribuer les Sur la Danse. lumieres par parties ou par masses iné- gales, afin de forcer les endroits qui demandent un grand jour, de ménager ceux qui en exigent peu, & de négliger les parties qui en sont moins susceptibles. Le Peintre étant obligé de mettre des nuances & des dégradations dans ces Tableaux pour que la perspective s'y rencontre, celui qui doit l'éclairer devroit, ce me semble, le consulter, afin d'observer les mêmes nuances & les mêmes dégradations dans les lumieres. Rien ne seroit si mauvais qu'une décoration peinte dans le même ton de couleur & dans les mêmes nuances; il n'y auroit ni lointain ni perspective; de même, si les morceaux de Peinture divisés pour former un tout sont éclairés avec la même force, il n'y aura plus d'entente, plus de masse,Lettres plus d'opposition, & le Tableau sera sans effet.


22 - Lettres sur la danse /

La Danse avertit en quelque façon le Machiniste de se tenir prêt au changement de décorations; vous savez en effet que le divertissement terminé, les lieux changent. Comment remplit-on ordinairement l'intervalle des Actes, Intervalle absolument nécessaire à la manœuvre du Théatre, au repos des Acteurs, & au changement d'habits de la Danse & des Chœurs? Que fait l'Orchestre? elle détruit les idées que la Scene vient d'imprimer dans mon ame; elle joue un Passepied; elle reprend un Rigaudon ou un Tambourin fort gai, lorsque Sur la Danse. je suis vivement ému & fortement attendri par l'action sérieuse qui vient de se passer; elle suspend le charme d'un moment délicieux; elle efface de mon cœur les images qui l'intéressoient; elle étouffe & amortit le sentiment dans lequel il se plaisoit; ce n'est pas tout encore, & vous allez voir le comble de l'inintelligence; cette action touchante n'a été qu'ébauchée; l'Acte suivant doit la terminer & me porter les derniers coups; or de cette Musique gaie & triviale, on passe subitement à uneRitournelle triste & lugubre: quel contraste choquant! S'il permet encore à l'Acteur de me ramener à l'intérêt qu'il m'a fait perdre, ce ne sera qu'à pas lents; mon cœur flottera longtemps entre la distraction qu'il vient d'éprouver & la douleur à laquelle on Lettres tente de le rappeller; le piege que la fiction me présente une seconde fois me paroît trop grossier; je cherche à l'éviter & à m'en défendre machinalement & malgré moi, & il faut alors que l'Art fasse des efforts inouis pour m'en imposer, & pour me faire succomber de nouveau. Vous conviendrez que cette vieille méthode, si chere encore à nos Musiciens, blesse toute vraisemblance. Ils ne doivent pas se flatter de triompher de moi au point d'exciter à leur gré & subitement dans mon ame tous ces ébranlements divers; le premier instant me disposoit à céder à l'impression qui devoit résulter des objets qui m'étoient offerts. Le second détruit totalement ce premier effet, & la nouvelle sensation qu'il produit sur moi est si différente & si distante de celle à Sur la Danse. laquelle je m'étois d'abord livré, que je ne saurois y revenir sans une peine extrême, sur-tout lorsque mes fibres ont naturellement plus de propension & plus de tendance à se déployer dans le dernier sens où elles viennent d'être mues; en un mot, Monsieur, cette chûte soudaine, ce brusque passage du pathétique à l'enjoué, du diatonique enharmonique,* ou du chromatique enharmonique à une Gavotte, ou à une* Le Trio des Parques d'Hippolite & d'Aricie qui n'avoit pu être rendu à l'Opéra tel qu'il est, offre un exemple de ce genre. Nous en avions un du second dans le tremblement de terre fait pour le second Acte des Indes Galantes, que l'Orchestre ne put jamais exécuter en 1735, & dont l'effet avoit été néanmoins surprenant dans l'épreuve ou dans l'essai que des Musiciens habiles & de bonne volonté en avoient fait en présence de M. Rameau. Si ces morceaux n'eussent pas été au-dessus des forces des exécutants, croyez-vous qu'un Tambourin qui les auroit suivi eût été bien placé? & tout entracte ne seroit-il pas mieux employé par le Musicien, s'il lioit le sujet, s'il tâchoit de conserver l'impression faite, & de préparer le Spectateur à celle à laquelle il veut le conduire.Lettres sorte de Pont-neuf, ne me semblent pas moins discordant, qu'un air qui commenceroit dans un ton & qui finiroit dans un autre. J'ose croire qu'une pareille disparate blessera toujours ceux que le plaisir de sentir conduit auSpectacle, car elle ne peut n'être pas apperçue que par les Originaux qui n'y vont que par air, & qui tenant une énorme lorgnette à la main, préférent la satisfaction d'étaler leurs ridicules, de voir & d'être vus, à celle de goûter les délices que les Arts réunis par l'esprit, par le génie & par le goût peuvent procurer.


23 - Lettres sur la danse /

J'ai toujours regardé ce Spectacle comme un grand Tableau qui doit offrir le merveilleux & le sublime de la Peinture dans tous les genres; dont la toile doit être esquissée par un homme célebre, & peinte ensuite par des Peintres habiles dans des genres opposés, Lettres qui tous animés par l'honneur & la noble ambition de plaire doivent terminer le chef-d'œuvre avec cet accord & cette intelligence qui annoncent & qui caractérisent les vrais talents. L'homme célebre qui a fait choix du sujet, qui en a disposé les parties, qui les a distribuées avec autant de goût que d'Art.{??} & qui a esquissé la toile, voilà le Poëte; c'est de lui premiérement que dépend le succès, puisque c'est lui qui compose, qui place, qui dessine & qui met à proportion de son génie plus ou moins de beautés, plus ou moins d'actions, & par conséquent plus ou moins d'intérêt dans son Tableau. Les Peintres qui secondent son imagination sont le Maître de Musique, le Maître de Ballets, le Peintre décorateur, le Dessinateur pour le Costume des habits & le Sur la Danse.Machiniste: tous cinq doivent également concourir à la perfection & à la beauté de l'Ouvrage, en suivant exactement l'idée primitive du Poëte, qui à son tour doit veiller soigneusement sur le tout. L'œil du Maître est un point nécessaire, il doit entrer dans tous les détails. Il n'en est point de petits & de minutieux à l'Opéra; les choses qui paroissent de la plus foible conséquence choquent, blessent & déplaisent lorsqu'elles ne sont pas rendues avec exactitude & avec précision. Ce Spectacle ne peut donc souffrir de médiocrité, il neséduit qu'autant qu'il est parfait dans toutes ses parties. Convenez, Monsieur, qu'un Auteur qui abandonne son ouvrage aux soins de cinq personnes qu'il ne voit jamais, qui se connoissent à peine, & qui s'évitent toutes, ressemble assez à Lettres ces Peres qui confient l'éducation de leurs fils à des mains étrangeres, & qui par dissipation ou par esprit de grandeur croiroient déroger, s'ils veilloient à leurs progrès. Que résulte-t-il d'un préjugé si faux? Tel enfant né pour plaire, devient maussade & ennuyeux. Voilà l'image du Poëte dans celui du Pere, & l'exemple du Drame dans celui de l'enfant.


24 - Lettres sur la danse /

Sans être Musicien, un Poëte ne Sur la Danse. peut-il pas sentir si tel trait de Musique rend sa pensée, si tel autre n'affoiblit pas l'expression; si celui-ci prête de la force à la passion, & donne des graces & de l'énergie au sentiment? Sans être Peintre- Décorateur, ne peut-il pas concevoir si telle décoration qui doit représenter une Forêt de l'Affrique, n'emprunte pas la forme de celle de Fontainebleau? Si telle autre qui doit offrir une rade de l'Amérique, ne ressemble pas à celle de Toulon? si celle-ci qui doit montrer le Palais de quelque Empereur du Japon, ne se rapproche pas trop de celui de Versailles? & si la derniere qui doit tracer les jardins de Sémiramis, n'offre pas ceux de Marly? Sans être Danseur & Maître de Ballets, il peut également s'appercevoir de la confusion qui y régnera, du peu d'expression Lettres des exécutans; il peut, dis-je, sentir si son action est rendue avec chaleur; si les Tableaux en sont assez frappants; si la Pantomime est vraie, & si le caractere de la Danse répond au caractere du Peuple & de la Nation qu'elle doit représenter. Ne peut-il pas encore sentir les défauts qui se rencontrent dans les vêtements par des négligences ou un faux goût, qui s'éloignant du Costume détruit toute illusion? A-t-il besoin enfin d'être machiniste pour s'appercevoir que telle machine ne marche point avec promptitude? Rien de si simple que d'en condamner la lenteur, ou d'en admirer la précision & la vîtesse. Au reste, c'est au Machiniste à remé- dier à la mauvaise combinaison qui s'oppose à leurs effets, à leur jeu & à leur activité.


25 - Lettres sur la danse /

Voyons ce que fait habituellement le Maître de Ballets à ce Spectacle, Lettres & examinons l'ouvrage qu'on lui distribue. On lui donne une partie de répé- tition, il l'ouvre, & il lit; Prologue, Passepied pour les Jeux & les Plaisirs; Gavotte pour les Ris, & Rigaudon pour les Songes agréables. Au premier Acte; air marqué pour les Guerriers, second air pour les mêmes; Musette pour les Prêtresses. Au second Acte, Loure pour les Peuples, Tambourin & Rigaudon pour les Matelots. Au troisieme Acte, air marqué pour les Démons; air vif pour les mêmes. Au quatrieme Acte, entrée des Grecs & Chaconne, sans compter les Vents, les Tritons, les Naïades, les Heures, les Signes du Zodiaque, les Bacchantes, les Zéphyrs, les Ondains & les Songes funestes, car cela ne finiroit jamais. Voilà le Maître de Ballets bien instruit; Sur la Danse. le voilà chargé de l'exécution d'un plan bien magnifique & bien ingénieux! Qu'exige le Poëte? que tous les Personnages du Ballet dansent, & on les fait danser: de cet abus naissent les pré- tentions ridicules; Monsieur, dit le premier danseur au Maître de Ballets, „je remplace un tel, & je dois danser tel air.„ Par la même raison, Mlle. une telle se réserve les Passepieds; l'autre les Musettes; celle-ci les Tambourins; celui-là les Loures; celui-ci laChaconne; & ce droit imaginaire, cette dispute d'emplois & de genres fournissent à chaque Opéra, vingt entrées seuls, qui sont dansées avec des habits d'un goût & d'un genre opposé, mais qui ne différent ni par le caractere, ni par l'esprit, ni par les enchaînements de pas, ni par les attitudes; cette mono- Lettres tonie prend sa source de l'imitationmachinale. M. Vestris est le premier Danseur, il ne danse qu'au dernier Acte; c'est la regle; elle est au reste conforme au proverbe qui astreint à conserver les meilleures choses pour les dernieres; que font les autres Danseurs de ce genre? Ils estropient l'original, ils le chargent & n'en prennent que les défauts; car il est plus aisé de saisir lesridicules que d'imiter les perfections: tels les courtisans d'Alexandre, qui ne pouvant lui ressembler par sa valeur & ses vertus héroïques, portoient tous le col de côté, pour imiter le défaut naturel de ce Prince. Voilà donc de froides copies qui multiplient de cent manieres différentes l'original, & qui le défigurent continuellement. Ceux d'un autre genre sont aussi maussades & aussi Sur la Danse. ridicules: ils veulent saisir la précision, la gaieté & la belle formation des enchaînements de M. Lany, & ils sont détestables. Toutes les femmes veulent danser comme Mlle. Lany, & toutes les femmes en ce cas ont des prétentions très-ridicules. Enfin, Monsieur, l'Opéra est, si j'ose m'exprimer ainsi, le Spectacle des singes. L'homme s'é- vite, il craint de se montrer avec ses propres traits, il en emprunte toujours d'é- trangers, & il roug roit de se ressembler; aussi faut-il acheter le plaisir d'admirer quelques bons Originaux, par l'ennui de voir une multitude de mauvaises copies qui les précedent. Que veulent dire d'ailleurs cette quantité d'entrées seules, qui ne tiennent & ne ressemblent à rien? Que signifient tous cescorps sans ame, qui se promenent sans Lettres graces, qui se déploient sans goût, qui pirouettent sans à-plomb, sans fermeté, & qui se succedent d'Acte en Acte avec le même froid? Pourrons-nous donner le titre de monologue à ces sortes d'entrées dépourvues d'intérêt & d'expression? Non, sans doute, car le monologue tient à l'action, il marche de concert avec la Scene, il peint, il retrace, il instruit. Mais comment faire parler une entrée seul, me direz-vous? Rien de si facile, Monsieur, & je vais vous le prouver clairement.


26 - Lettres sur la danse /

Vous concevez, Monsieur, que pour peindre une action où les passions sont variées, & où les transitions de ces mêmes passions sont aussi subites que dans le Programme que je viens de vous tracer, il faut de toute né- cessité que la Musique abandonne les mouvements & les modulations pauvres qu'elle emploie dans les airs destinés à la Danse. Des sons arrangésmachinalement & sans esprit ne peu- Sur la Danse. vent servir le Danseur, ni convenir à une action vive. Il ne s'agit donc point d'assembler simplement des notes suivant les regles de l'Ecole; la succession harmonique des tons doit dans cette circonstance imiter ceux de lanature, & l'inflexion juste des sons présenter l'image du Dialogue.


27 - Lettres sur la danse /

Je ne blâme point généralement, Monsieur, les Entrées seuls de l'Opéra; j'en admire les beautés souvent dispersées, mais j'en voudrois moins. Le trop en tout genre devient ennuyeux; je desirerois encore plus de variété dans l'exécution: car rien n'est si ridicule, que de voir danser les Bergers deTempé, comme les Divinités de l'Olympe. Les habits & les caracteres étant sans nombre à ce Spectacle, je souhaiterois que la Danse ne fût pas Lettres toujours la même; cette uniformité choquante disparoîtroit sans doute, si les Danseurs étudioient le caractere de l'homme qu'ils doivent représenter, s'ils saisissoient ses mœurs, ses usages & ses coutumes; ce n'est qu'en se substituant à la place du Héros & du Personnage que l'on joue, que l'on peut parvenir à le rendre & à l'imiter parfaitement. Personne ne rend plus de justice que moi aux Entrées seuls ,{??} dansées par les premiers Sujets; ils me déploient toutes les beautés méchaniques des mouvements harmonieux duCorps; mais desirer & faire des vœux pour que ces mêmes sujets faits pour s'illustrer mêlent quelquefois aux graces du corps les mouvements de l'ame; ambitionner de les admirer sous une forme plus séduisante, & de n'être pas Sur la Danse. borné enfin à les contempler uniquement comme de belles machines bien combinées & bien proportionnées, ce n'est pas, je crois, mépriser leur exécution, avilir leur talent & décrier leur genre; c'est exactement les engager à l'embellir & à le varier d'avantage.


28 - Lettres sur la danse /

M. Chassé, Acteur unique qui a trouvé l'Art de mettre de l'intérêt dans des Scenes de glace, & d'exprimer par le geste les pensées les plus froides & les moins frappantes, a secoué pareillement les tonnelets ou ces paniers roides qui ôtoient toute aisance à l'Acteur, & qui en faisoient, pour ainsi dire, une machine mal organisée; les casques & les habits symmétriques furent aussi proscrits par ce grand Sur la Danse. homme; il substitua aux tonnelets guindés des draperies bien entendues, & aux panaches antiques des plumes distribuées avec goût & élégance. Le simple, le galant & le Pittoresque composoient sa parure.


29 - Lettres sur la danse /

Mais passons aux tics; c'est une objection si foible, qu'il ne me sera pas difficile d'y répondre. Les tics, les contorsions & les grimaces prennent moins naissance de l'habitude, que des efforts violents que l'on fait pour sauter; efforts qui contractant tous les muscles, font grimacer les traits de cent manieres différentes, & auxquels je ne peux reconnoître qu'un Forç{??}at & non un Lettres Danseur & un Artiste. Tout Danseur qui altere ses traits par des efforts & dont le visage est sans cesse en convulsion, est un Danseur sans ame qui ne pense qu'à ses jambes, qui ignore les premiers éléments de son Art, qui ne s'attache qu'à la partie grossiere de la Danse & qui n'en a jamais senti l'esprit. Un tel homme est fait pour aller faire le saut périlleux: le Tramplain* & la Batoude doivent être son Théatre puisqu'il a sacrifié l'imitation, le génie & les charmes de son Art à une routine qui l'avilit; puisqu'au lieu de s'attacher à peindre & à sentir, il ne s'est appliqué qu'à la méchanique de son talent; puisqu'enfin sa physionomie ne montre que la peine & la douleur, lorsqu'elle* Planches posées de maniere qu'elles ont une grande élasticité, ce qui facilite les sauts périlleux des Danseurs de corde.Sur la Danse. ne devroit me tracer que les passions & les affections de son ame: un tel homme enfin n'est qu'un mal-adroit dont l'exécution pénible est toujours désagréable. Eh! qui peut nous flatter davantage, Monsieur, que l'aisance & la facilité? Les difficultés ne sont en droit de plaire que lorsqu'elles se présentent avec les traits du goût & des graces, & qu'elles empruntent enfin cet air noble & aisé, qui dérobant la peine ne laisse voir que la légéreté. Les Danseuses de nos jours ont, proportion gardée, plus d'exécution que les hommes; elles font tout ce qu'il est possible de faire. Mlle. Lany embarrassera toujours un Danseur, s'il n'est ferme & vigoureux, vif, brillant & précis. Je demanderai donc pourquoi les Danseuses conservent les graces de leur physionomie dans les instants Lettres les plus violents de leur exécution? Pourquoi les muscles du visage ne secontractent-ils pas, lorsque toute la machine est ébranlée par des secousses violentes & par des efforts réitérés? Pourquoi, dis-je, les femmesnaturellement moins nerveuses, moins musculeuses & moins fortes que nous, ont-elles la physionomie tendre & voluptueuse, vive & animée, & toujours expressive, lors même que les ressorts & les muscles qui coopérent à leurs mouvements, sont dans une contention forcée, & qui contraint la nature? D'où vient enfin ont-elles l'Art de dérober la peine, de cacher le travail du corps & les impressions désagréables, en substituant à la grimace convulsive qui naît des efforts la finesse de l'expression la plus délicate & la plus tendre? C'est qu'elles Sur la Danse. apportent une attention particuliere à l'exercice; qu'elles savent qu'une contorsion enlaidit les traits, & change le caractere de la physionomie; c'est qu'elles sentent que l'ame se déploie sur le visage, qu'elle se peint dans les yeux, qu'elle anime & vivifie les traits; qu'elles sont persuadées enfin que la physionomie est, ainsi que je l'ai dit, la partie de nous-mêmes où toute l'expression se rassemble, & qu'elle est le miroir fidelle de nos sentiments, de nos mouvements & de nos affections. Aussi mettent-elles plus d'ame, plus d'expression & plus d'intérêt dans leur exécution que les hommes. En apportant le même soin qu'elles, nous ne serons ni affreux ni désagréables; nous ne contracterons plus d'habitude vicieuse; nous n'aurons plus de tics, & nous pourrons nous passer Lettres d'un masque qui dans cette circonstance aggrave le mal sans le détruire; c'est une emplâtre qui dérobe aux yeux les imperfections, mais qui les laisse subsister. Le remede néanmoins ne pourra s'appliquer, si l'on cache continuellement sa physionomie. En effet, quel conseil peut-on donner à un masque? il seroit toujours froid & maussade en dépit des bons avis. Que l'on dépouille la Physionomie de ce corps étranger; que l'on abolisse cet usage qui donne des entraves à l'ame & qui l'empêche de se dé- ployer sur les traits; alors on jugera le Danseur, on estimera son jeu. Celui qui joindra aux difficultés & aux graces de l'Art cette Pantomime vive & animée, & cette expression rare de sentiment, recevra avec le titre d'excellent Danseur, celui de parfait Comédien; Sur la Danse. les éloges l'encourageront, les avis & les conseils des connoisseurs le conduiront à la perfection de son Art. „On lui diroit alors, votre physionomie étoit trop froide dans tel endroit; dans tel autre vos regards n'étoient pas assez animés; le sentiment que vous aviez à peindre étant foible au-dedans, n'a pu se manifester au dehors avec assez de force & d'énergie; aussi vos gestes & vos attitudes se sont-ils ressentis du peu de feu que vous avez mis dans l'action; livrez-vous donc davantage une autre fois; pénétrez-vous de la situation que vous avez à rendre, & n'oubliez jamais que pour bien peindre, il faut sentir, mais sentir vivement. „De tels conseils, Monsieur, rendroient la Danse aussi florissante que la Pantomime l'étoit chez les anciens, & lui Lettres donneroit un lustre qu'elle n'atteindra jamais, tant que l'habitude prévaudra sur le bon goût.


30 - Lettres sur la danse /

Je conçois qu'un tel arrangement ne peut avoir lieu, si les Compositeurs ne renoncent à la Paysannade pour prendre un genre plus élevé, & si les Danseurs ne quittent cette fureur de Sur la Danse. remuer les jambes & les bras machinalement.