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16 - Discours de la tragedie /

Toute Action,

17 - Discours de la tragedie /

Dans ces actions tragiques qui se passententre proches, il faut considérer si celui quiveut faire périr l'autre, le connoit, ou nele connoit pas, & s'il achéve, ou n'achéve pas. La diverse combinaison de ces deux maniéres d'agir, forme quatre sortes deTragédies, à qui notre Philosophe attribuedivers degrés de perfection. On connoit celui qu'on veut perdre, & on le fait périr eneffet, comme Médée tue ses enfans, Clytemnestre son mari, Oreste sa mére; & la moindre DE LA TRAGEDIE. 521 espéce est celle-là. On le fait périr sans leconnoître, & on le reconnoit avec déplaisir a- près l'avoir perdu; & cela, dit-il, ou avantla Tragédie, comme Oedipe, ou dans la Tragédie, comme l'Alcmæon d'Astydamas, & Télegonus dans Ulysse blessé, qui sont deux piéces que le temps n'a pas laissé venir jusqu'ànous; & cette seconde espéce a quelquechose de plus élevé selon lui que la prémiére.La troisiéme est dans le haut degré d'excellence, quand on est prêt de faire périr un de ses proches sans le connoítre, & qu'on le reconnoit assez tôt pour le sauver, comme Iphigénie reconnoit Oreste pour son frére, lorsqu'elle devoit le sacrifier à Diane, & s'enfuit avec lui.Il en cite encore deux autres exemples, deMérope dans Cresphonte, & de Hellé,dont nous ne connoissons ni l'un ni l'autre.Il condamne entiérement la quatriéme espéce de ceux qui connoissent, entreprennent & n'achévent pas, qu'il dit avoir quelque chose de méchant, & rien de tragique, & endonne pour exemple Æmon, qui tire l'épée contre son pére dans l'Antigone, & ne s'en sert que pour se tuer lui - même. Mais sicette condamnation n'étoit modifiée, elles'étendroit un peu loin, & envelopperoitnon seulement le Cid, mais Cinna, Rodogune, Héraclius & Nicoméde.


18 - Discours de la tragedie /

Ce n'est pas démentir Aristote, que del'expliquer ainsi favorablement, pour trouver dans cette quatriéme maniére d'agirqu'il rebute, une espéce de nouvelle Tragédie plus belle que les trois qu'il recommande, & qu'il leur eût sans doute préférée, s'il l'eût connue. C'est faire honneurà notre siécle, sans rien retrancher de l'autorité de ce Philosophe; mais je ne sai comment faire pour lui conserver cette autorité, & renverser l'ordre de la préférence qu'il établit entre ces trois espéces. Cependant jepense être bien fondé sur l'expérience, àdouter si celle qu'il estime la moindre destrois, n'est point la plus belle, & si cellequ'il tient la plus belle, n'est point la moin- 524 SECOND DISCOURS. dre. La raison est que celle-ci ne peut exciter de pitié. Un pére y veut perdre sonfils sans le connoître, & ne le regarde quecomme indifférent, & peut - être commeennemi. Soit qu'il passe pour l'un ou pourl'autre, son péril n'est digne d'aucune commisération selon Aristote même, & ne fait naître en l'auditeur qu'un certain mouvement de trépidation intérieure, qui le porte à craindre que ce fils ne périsse avantque l'erreur soit découverte, & à souhaiterqu'elle se découvre assez tôt pour l'empêcher de périr: ce qui part de l'intérêt qu'onne manque jamais à prendre dans la fortune d'un homme assez vertueux pour se faire aimer; & quand cette reconnoissance arrive, elle ne produit qu'un sentiment de conjouïssance de voir arriver la chose comme on le souhaitoit.


19 - Discours de la tragedie /

Pour la prémiére, il est indubitable queles Anciens en prenoient si peu de liberté,qu'ils arrêtoient leurs Tragédies autour depeu de familles, parce que ces sortes d'ac- tions étoient arrivées en peu de familles:ce qui fait dire à ce Philosophe, que la Fortune leur fournissoit des Sujets, & non pasl'Art. Je pense l'avoir dit en l'autre Discours.Il semble toutefois qu'il en accorde un pleinpouvoir aux Poëtes par ces paroles: Ils doivent bien user de ce qui est reçû, ou inventereux-mêmes. Ces termes décideroient la ques- tion, s'ils n'étoient point si généraux; mais comme il a posé trois espéces de Tragédies,selon les divers temps de connoître, & lesdiverses façons d'agir, nous pouvons faireune revûe sur toutes les trois, pour jugers'il n'est point à propos d'y faire quelque distinction qui resserre cette liberté. J'en dirai mon avis d'autant plus hardiment, 528 SECOND DISCOURS. qu'on ne pourra m'imputer de contredireAristote, pourvû que je la laisse entiére àquelqu'une des trois.


20 - Discours de la tragedie /

De tels épisodes toutefois ne seroient paspropres à un sujet historique, ou de pureinvention, parce qu'ils manqueroient de rapport avec l'action principale, & seroientmoins vraisemblables qu'elle. Les apparitions de Vénus & d'Æole ont eu bonnegrace dans Androméde: mais si j'avois faitdescendre Jupiter pour réconcilier Nicoméde avec son pére, ou Mercure pour révéler à Auguste la conspiration de Cinna, j'aurois fait révolter tout mon auditoire, & cette merveille auroit détruit toute la croyance que le reste de l'action auroit obtenue. Ces dénouemens par des Dieux de machine sont fort fréquens chez les Grecs dansdes Tragédies qui paroissent historiques, &qui sont vraisemblables à cela près. Aussi Aristote ne les condamne pas tout - à - fait,& se contente de leur préférer ceux quiviennent du sujet. Je ne sai ce qu'en décidoient les Athéniens qui étoient leurs juges;mais les deux exemples que je viens de ci- ter, montrent suffisamment qu'il seroitdangereux pour nous de les imiter en cettesorte de licence. On me dira que ces apparitions n'ont garde de nous plaire, parceque nous en savons manifestement la fausseté, & qu'elles choquent notre Religion,ce qui n'arrivoit pas chez les Grecs. J'avoue qu'il faut s'accommoder aux mœursde l'Auditeur, & à plus forte raison à sacroyance; mais aussi doit-on m'accorder que DE LA TRAGEDIE. 531 nous avons du moins autant de foi pourl'appartition des Anges & des Saints, queles Anciens en avoient pour celle de leurApollon & de leur Mercure. Cependantqu'auroit-on dit, si pour démêler Héraclius d'avec Martian, après la mort de Phocas,je me fusse servi d'un Ange? Ce poëme estentre des Chrétiens, & cette apparition yauroit eu autant de justesse que celle desDieux de l'antiquité dans ceux des Grecs:ç'eût été néanmoins un secret infaillible de rendre celui-là ridicule, & il ne faut qu'avoir un peu de sens commun pour en demeurer d'accord. Qu'on me permette doncde dire avec Tacite: Non omnia apud prioresmeliora, sed nostra quoque ætas multa laudis& artium imitanda posteris tulit.


21 - Discours de la tragedie /

L'autre question, s'il est permis de changer quelque chose aux sujets qu'on emprunte de l'Histoire ou de la Fable, sembledécidée en termes assez formels, par Aristote, lorsqu'il dit, qu'il ne faut point changer les sujets reçûs, & que Clytemnestre doit ne point être tuée par un autre qu'Oreste, ni Eriphile par un autre qu'Alcmæon. Cette décision peut toutefois recevoir quelque distinction & quelque tempérament. Il est DE LA TRAGEDIE. 533 constant que les circonstances, ou si vousl'aimez mieux, les moyens de parvenir àl'action, demeurent en notre pouvoir. L'Histoire souvent ne les marque pas, ou en rapporte si peu, qu'il est besoin d'y suppléer pour remplir le poëme; & même il y aquelque apparence de présumer que la mémoire de l'Auditeur qui les aura lûes autrefois, ne s'y sera pas si fort attaché, qu'ils'apperçoive assez du changement que nousy aurons fait, pour nous accuser de mensonge; ce qu'il ne manqueroit pas de faire,s'il voyoit que nous changeassions l'actionprincipale. Cette falsification seroit cause qu'il n'ajoûteroit aucune foi à tout le reste;comme au contraire il croit aisément toutce reste, quand il le voit servir d'acheminement à l'effet qu'il sait véritable, & dontl'Histoire lui a laissé une plus forte impres- sion. L'exemple de la mort de Clytemnestre peut servir de preuve à ce que je viensd'avancer. Sophocle & Euripide l'ont traité tous deux, mais chacun avec un nœud& un dénouement tout-à-fait différent l'unde l'autre, & c'est cette différence qui empêche que ce ne soit la même piéce, bienque ce soit le même sujet, dont ils ont conservé l'action principale. Il faut donc laconserver comme eux; mais il faut examiner en même temps si elle n'est point sicruelle, ou si difficile à représenter, qu'elle puisse diminuer quelque chose de la cro- 534 SECOND DISCOURS. yance que l'Auditeur doit à l'Histoire, & qu'il veut bien donner à la Fable, en semettant à la place de ceux qui l'ont prisepour une vérité. Lorsque cet inconvénientest à craindre, il est bon de cacher l'événement à la vûe, & de le faire savoir par un récit qui frappe moins que le spectacle, & nous impose plus aisément.


22 - Discours de la tragedie /

Je ne saurois dissimuler une délicatesseque j'ai sur la mort de Clytemnestre, qu'Aristote nous propose pour exemple des actions qui ne doivent point être changées. Je veux bien avec lui qu'elle ne meure quede la main de son fils Oreste; mais je nepuis souffrir chez Sophocle que ce fils lapoignarde de dessein formé, pendant qu'elle est à genoux devant lui, & le conjure de lui laisser la vie. Je ne puis même pardonner à Electre, qui passe pour une vertueuse opprimée dans le reste de la piéce,l'inhumanité dont elle encourage son fréreà ce parricide. C'est un fils qui venge son pére, mais c'est sur sa mére qu'il le venge.Séleucus & Antiochus avoient droit d'enfaire autant dans Rodogune, mais je n'aiosé leur en donner la moindre pensée. Aussinotre maxime de faire aimer nos principaux Acteurs n'étoit pas de l'usage des Anciens,& ces républicains avoient une si forte haine des Rois, qu'ils voyoient avec plaisirdes crimes dans les plus innocens de leurrace. Pour rectifier ce sujet à notre mode, il faudroit qu'Oreste n'eût dessein que con- DE LA TRAGEDIE. 537 tre Ægiste, qu'un reste de tendresse respectueuse pour sa mére lui en fît remettre lapunition aux Dieux, que cette Reine s'opiniâtrât à la protection de son adultére, &qu'elle se mît entre son fils & lui si malheureusement, qu'elle reçût le coup quece Prince voudroit porter à cet assassin deson pére. Ainsi elle mourroit de la main deson fils, comme le veut Aristote, sans quela barbarie d'Oreste nous fît horreur, comme dans Sophocle, ni que son action méritât des Furies vengeresses pour le tourmenter, puisqu'il demeureroit innocent.


23 - Discours de la tragedie /

Cette liberté du Poëte se trouve encoreen termes plus formels dans le vingt - cinquiéme Chapitre, qui contient les excuses,ou plutôt les justifications dont il se peut servir contre la censure. Il faut, dit-il, qu'ilsuive un de ces trois moyens de traiter les choses, & qu'il les représente ou comme elles ontété, ou comme on dit qu'ellés ont été, ou comme elles ont dû être: par où il lui donne le choix, ou de la vérité historique, oude l'opinion commune sur quoi la Fable estfondée, ou de la vraisemblance. Il ajoûte eusuite: Si on le reprend de ce qu'il n'a pasécrit les choses dans la vérité, qu'il réponde qu'il les a écrites comme elles ont dû être: sion lui impute de n'avoir fait ni l'un ni l'autre, qu'il se défende sur ce qu'en publie l'opinion commnne, comme en ce qu'on raconte desDieux, dont la plus grande partie n'a rien de véritable. Et un peu plus bas: Quelquefoisce n'est pas le meilleur qu'elles se soient passées de la maniére qu'il décrit, néanmoins elles se sont passées effectivement de cette maniére, & par conséquent il est hors de faute. Ce dernier passage montre que nous ne sommes point obligés de nous écarter de la vérité, pour donner une meilleure forme auxactions de la Tragédie par les ornemens de DE LA TRAGEDIE. 539 la vraisemblance, & le montre d'autant plus fortement, qu'il demeure pour constantpar le second de ces trois passages, que l'opinion commune suffit pour nous justifier,quand nous n'avons pas pour nous la véri- té, & que nous pourrions faire quelque chose de mieux que ce que nous faisons,si nous recherchions les beautés de cettevraisemblance. Nous courons par - là quelque risque d'un plus foible succès, mais nous ne péchons que contre le soin quenous devons avoir de notre gloire, & nonpas contre les régles du Théatre.


24 - Discours de la tragedie /

Pour éclaircir cette préférence mutuelledu vraisemblable au nécessaire, & du né- 540 SECOND DISCOURS. cessaire au vraisemblable, il faut distinguerdeux choses dans les actions qui composent laTragédie. La prémiére consiste en ces actionsmêmes, accompagnées des inséparablescirconstances du temps & du lieu; & l'autre en la liaison qu'elles ont ensemble, qui les fait naître l'une de l'autre, En la prémiére, le vraisemblable est à préférer au nécessaire, & le nécessaire au vraisemblabledans la seconde


25 - Discours de la tragedie /

Avant que d'en venir aux définitions &divisions du vraisemblable & du nécessaire,je fais encore une réflexion sur les actionsqui composent la Tragédie, & trouve quenous pouvons y en faire entrer de trois sortes, selon que nous le jugeons à propos. Les unes suivent l'Histoire, les autres ajoûtentà l'Histoire, les troisiémes falsifient l'Histoire. Les prémiéres sont vraies, les secondesquelquefois vraisemblables, & quelquefoisnécessaires; & les derniéres doivent toujoursêtre nécessaires.


26 - Discours de la tragedie /

Cette fausseté manifeste qui détruit lavraisemblance, se peut rencontrer mêmedans les piéces qui sont toutes d'invention.On n'y peut falsifier l'histoire, puisqu'ellen'y a aucune part; mais il y a des circonstances des temps, & des lieux, qui peuvent convaincre un auteur de fausseté, quandil prend mal ses mesures. Si j'introduisoisun Roi de France ou d'Espagne sous unnom imaginaire, & que je choisîsse pour temps de mon action un siécle, dont l'Histoire eût marqué les véritables Rois de cesdeux Royaumes, la fausseté seroit toutevisible; & c'en seroit une encore pluspalpable, si je plaçois Rome à deux lieuesde Paris, afin qu'on pût y aller & reveniren un même jour. Il y a des choses surquoi le Poëte n'a jamais aucun droit. Il peutprendre quelque licence sur l'Histoire, en tant qu'elle regarde les actions des particuliers, comme celle de César, ou d'Auguste,& leur attribuer des actions qu'ils n'ont pasfaites, ou les faire arriver d'une autre maniére qu'ils ne les ont faites; mais il nepeut pas renverser la Chronologie, pourfaire vivre Alexandre du temps de César,& moins encore changer la situation deslieux, ou les noms des Royaumes, desProvinces, des Villes, des montagnes, & des fleuves remarquables. La raison est, 548 SECOND DISCOURS. que ces Provinces, ces montagnes, ces riviéres sont des choses permanentes. Ce quenous savons de leur situation étoit dès lecommencement du monde, nous devons présumer qu'il n'y a point eu de changement à moins que l'Histoire le marque, &la Géographie nous en apprend tous lesnoms anciens & modernes. Ainsi un homme seroit ridicule d'imaginer que du tempsd'Abraham, Paris fût au pied des Alpes,ou que la Seine traversât l'Espagne, & demêler de pareilles grotesques dans une piéced'invention. Mais l'Histoire est des choses quipassent, & qui succédant les unes aux autres, n'ont que chacune un moment pour leur durée, dont il en échappe beaucoup àla connoissance de ceux qui l'écrivent. Aussin'en peut-on montrer aucune qui contienne tout ce qui s'est passé dans les lieux dontelle parle, ni tout ce qu'ont fait ceux dont elle décrit la vie. Je n'en excepte pas même les Commentaires de César qui écrivoitsa propre histoire, & devoit la savoir touteentiére. Nous savons quels pays arrosoientle Rhône & la Seine, avant qu'il vînt dansles Gaules; mais nous ne savons que fortpeu de choses, & peut-être rien du tout,de ce qui s'y est passé avant sa venue. Ainsinous pouvons bien y placer des actions quenous feignons arrivées avant ce temps-là, mais non pas sous ce prétexte de fictionPoëtique, & d'éloignement des temps, y DE LA TRAGEDIE. 549 changer la distance naturelle d'un lieu àl'autre. C'est de cette façon que Barclay ena usé dans son Argénis, où il ne nommeaucune ville, ni fleuve de Sicile, ni de nosProvinces, que par des noms véritables,bien que ceux de toutes les personnes qu'ily met sur le tapis soient entiérement de soninvention, aussi-bien que leurs actions.


27 - Discours de la tragedie /

Aristote semble plus indulgent sur cet article, puisqu'il trouve le Poëte excusable,quand il péche contre un autre art que lesien, comme contre la Médecine ou contrel'Astrologie. A quoi je répons, qu'il ne l'excuse que sous cette condition, qu'il arrive parlà au but de son art, auquel il n'auroit pûarriver autrement. Encore avoue-t-il, qu'ilpeche en ce cas, & qu'il est meilleur de ne pointpécher du tout. Pour moi, s'il faut recevoircette excuse, je ferois distinction entre les arts qu'il peut ignorer sans honte, parcequ'il lui arrive rarement des occasions d'enparler sur son Théatre, tels que sont la Médecine & l'Astrologie que je viens de nommer; & les arts, sans la connoissance desquels, ou en tout ou en partie, il ne sauroit établir de justesse dans aucune piéce,tels que sont la Géographie & la Chronologie. Comme il ne sauroit représenter aucune action sans la placer en quelque lieu & en quelque temps, il est inexcusables'il fait paroître de l'ignorance dans le choixde ce lieu, & de ce temps où il la place.


28 - Discours de la tragedie /

Le but des Acteurs est divers, selon lesdivers desseins que la variété des sujets leurdonne. Un amant a celui de posséder samaîtresse, un ambitieux de s'emparer d'une couronne, un homme offensé de se venger, & ainsi des autres. Les choses qu'ils ontbesoin de faire pour y arrive constituentce nécessaire, qu'il faut préférer au vraisemblable, ou pour parler plus juste, qu'il faut ajoûter au vraisemblable dans la liaison des actions, & leur dépendance l'une 554 SECO ND DISCOURS. de l'autre. Je pense m'être déjà assez expliqué là-dessus, je n'en dirai pas davantage.


29 - Discours de la tragedie /

Je tiens donc, & je l'ai déjà dit, quel'Unité d'action consiste dans la Comédie, en l'Unité d'intrigue, ou d'obstacles aux desseins des principaux Acteurs;& en l'Unité de péril dans la Tragédie, soit que son héros y succombe, soitqu'il en sorte. Ce n'est pas que je prétende qu'on ne puisse admettre plusieurspérils dans l'une, & plusieurs intrigues ouobstacles dans l'autre, pourvû que de l'un on tombe nécessairement dans l'autre; caralors la sortie du prémier péril ne rend pointl'action complette, puisqu'elle en attire unsecond, & l'éclaircissement d'une intriguene met point les Acteurs en repos, puisqu'il les embarrasse dans une nouvelle. Ma 560 TROISIE'ME DISCOURS. mémoire ne me fournit point d'exemplesanciens de cette multiplicité de périls attachés l'un à l'autre, qui ne détruit pointl'Unité d'action; mais j'en ai marqué laduplicité indépendante pour un défaut dans Horace & dans Théodore, dont il n'estpoint besoin que le prémier tue sa sœur ausortir de sa victoire, ni que l'autre s'offreau martyre, après avoir échappé la prostitution; & je me trompe fort, si la mortde Polixéne, & celle d'Astianax, dans la Troade de Sénéque, ne font la même irrégularité.


30 - Discours de la tragedie /

En second lieu, ce mot d'Unité d'actionne veut pas dire que la Tragédie n'en doive faire voir qu'une sur le Théatre. Celleque le Poëte choisit pour son sujet doit avoir un commencement, un milieu, &une fin, & ces trois parties non seulementsont autant d'actions qui aboutissent à laprincipale, mais en outre, chacune d'ellesen peut contenir plusieurs avec la même subordination. Il n'y doit avoir qu'une action complette, qui laisse l'esprit de l'auditeur dans le calme; mais elle ne peut ledevenir, que par plusieurs autres imparfaites, qui lui servent d'acheminemens, & tiennent cet auditeur dans une agréable suspension. C'est ce qu'il faut pratiquer à lafin de chaque Acte, pour rendre l'actioncontinue. Il n'est pas besoin qu'on sacheprécisément tout ce que font les Acteurs DES TROIS UNITE'S. 561 durant les intervalles qui les séparent, nimême qu'ils agissent lorsqu'ils ne paroissentpoint sur le Théatre; mais il est nécessaireque chaque Acte laisse une attente de quelque chose qui se doive faire dans celui qui le suit.