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46 - Le Pere de Famille /

Et qui sait tout le mal qu'a pu apporter une nuit?


47 - Le Pere de Famille /

SOncaractere a tout-à-fait changé. Elle n'a plus sa gaieté, sa vivacité... Ses charmes s'effacent... Elle souffre... Hélas, depuis que j'ai perdu ma femme & que le Commandeur s'est établi chez moi, le bonheur s'en est éloigné!... Quel prix il met à la fortune qu'il fait attendre à mes enfans!... Ses vues ambitieuses, & l'autorité qu'il a prise dans ma maison, me deviennent de jour en jour plus importunes... Nous vivions dans la paix & dans l'union. L'humeur inquiete & tyrannique de cet homme nous a tous séparés. On se craint, on s'évite, on me laisse; je suis solitaire au sein de ma famille, & je péris.... Mais le jour est prêt à paroître, & mon fils ne vient point!... Germeuil, l'amertume a rempli mon ame. Je ne puis plus supporter mon état....


48 - Le Pere de Famille /

Si vous n'êtes pas heureux, quel pere l'a jamais été?


49 - Le Pere de Famille /

Ah, mon pere, c'est à cet habit que je dois mon bonheur, ma Sophie, ma vie!


50 - Le Pere de Famille /

Ah, si vous connoissiez la vie de cesinfortunées! Imaginez que leur travail commence avant le jour, & que souvent elles y passent les nuits. La bonne file au rouet. Une toile dure & grossiere est entre les doigts tendres & délicats de Sophie, & les blesse. Ses yeux, les plus beaux yeux du monde, s'usent à la lumiere d'une lampe. Elle vit sous un toît, entre quatre murs tout dépouillés. Une table de bois, deux chaises de paille, un grabat; voilà ses meubles... O Ciel, quand tu la formas, étoit-ce là le sort que tu lui destinois?


51 - Le Pere de Famille /

Hier j'arrivai à mon ordinaire. Sophie étoit seule. Elle avoit les coudes appuyés sur sa table, & la tête panchée sur sa main. Son ouvrage étoit tombé à ses pieds. J'entrai sans qu'elle m'entendît. Elle soupiroit. Des larmes s'échappoient d'entre ses doigts, & couloient le long de ses bras. Il y avoit déjà quelque temps que je la trouvois triste..... Pourquoi pleuroit-elle? Qu'est-ce qui l'affligeoit? Ce n'étoit plus le besoin. Son travail & mes attentions pourvoyoient à tout.... Menacé du seulmalheur que je redoutois, je ne balançai point. Je me jettai à ses genoux. Quelle fut sa surprise! Sophie, lui dis-je, vous pleurez! Qu'avez-vous? Ne me celez pas votre peine. Parlez-moi; de grace, parlez-moi. Elle se taisoit. Ses larmes continuoient de couler. Ses yeux où la sérénité n'étoit plus, noyés dans les pleurs, se tournoient sur moi, s'en éloignoient, y revenoient. Elle disoit seulement: pauvre Sergi! malheureuse Sophie! Cependant j'avois baissé mon visage sur ses genoux, & je mouillois son tablier de mes larmes. Alors la bonne rentra. Je me leve. Je cours à elle. Je l'interroge. Je reviens à Sophie Je la conjure. Elle s'obstine au silence. Le désespoir s'empare de moi. Je mar- che dans la chambre sans savoir ce que je fais. Je m'écrie douloureusement, c'est fait de moi. Sophie, vous voulez nous quitter; c'est fait de moi. A ces mots ses pleurs redoublent, & elle retombe sur sa table comme je l'avois trouvée. La lueur pâle & sombre d'une petite lampe éclairoit cette scene de douleur qui a duré toute la nuit. A l'heure que le travail est censé m'appeller, je suis sorti, & je me retirois ici accablé de ma peine...


52 - Le Pere de Famille /

Vous craignez des peines, & vous ne pensez pas à celles que vous me causeriez? Vous m'abandonneriez? Vous quitteriez la maison de votre pere, pour un cloître? la société de votre oncle, de votre frere, & la mienne, pour la servitude? Non, ma fille, cela ne sera point. Je respecte la vocation religieuse, mais ce n'est pas la vôtre. La Nature, en vous accordant les qualités sociales, ne vous destina point à l'inutilité... Cécile, vous soupirez... Ah, si ce dessein te venoit de quelque cause secrete, tu ne sais pas le sort que tu te préparerois. Tu n'as pas entendu les gémissemens des infortunées dont tu irois augmenter le nombre. Ils percent la nuit & le silence de leurs prisons. C'est alors, mon enfant, que les larmes coulent ameres & sans témoin, & que les couches solitaires en sont arrosées... Mademoiselle, ne me parlez jamais de couvent... Je n'aurai point donné la vie à un enfant; je ne l'aurai point élevé; je n'aurai point travaillé sans relâche à assûrer son bonheur, pour le laisser descendre tout vif dans un tombeau, & avec lui mes espérances, & celles de la société trompées... Et qui la repeuplera de citoyensvertueux, si les femmes les plus dignes d'être des meres de famille, s'y refusent?


53 - Le Pere de Famille /

Vous craignez des peines, & vous ne pensez pas à celles que vous me causeriez? Vous m'abandonneriez? Vous quitteriez la maison de votre pere, pour un cloître? la société de votre oncle, de votre frere, & la mienne, pour la servitude? Non, ma fille, cela ne sera point. Je respecte la vocation religieuse, mais ce n'est pas la vôtre. La Nature, en vous accordant les qualités sociales, ne vous destina point à l'inutilité... Cécile, vous soupirez... Ah, si ce dessein te venoit de quelque cause secrete, tu ne sais pas le sort que tu te préparerois. Tu n'as pas entendu les gémissemens des infortunées dont tu irois augmenter le nombre. Ils percent la nuit & le silence de leurs prisons. C'est alors, mon enfant, que les larmes coulent ameres & sans témoin, & que les couches solitaires en sont arrosées... Mademoiselle, ne me parlez jamais de couvent... Je n'aurai point donné la vie à un enfant; je ne l'aurai point élevé; je n'aurai point travaillé sans relâche à assûrer son bonheur, pour le laisser descendre tout vif dans un tombeau, & avec lui mes espérances, & celles de la société trompées... Et qui la repeuplera de citoyensvertueux, si les femmes les plus dignes d'être des meres de famille, s'y refusent?


54 - Le Pere de Famille /

Qui le sait mieux que moi? Vous me l'apprenez tous les jours. Mais c'est un état que la Nature impose. C'est la vocation de tout ce qui respire... Ma fille, celui qui compte sur un bonheur sans mêlange, ne connoît ni la vie de l'homme, ni les desseins du Ciel sur lui... Si le mariage expose à des peines cruelles, c'est aussi la source des plaisirs les plus doux. Où sont les exemples de l'intérêt pur & sincere, de la tendresse réelle, de la confiance intime, des secours continus, des satisfactions réci- proques, des chagrins partagés, des soupirs entendus, des larmes confon- dues, si ce n'est dans le mariage? Qu'est-ce que l'homme de bien préfere à sa femme? Qu'y a-t-il au monde qu'un pere aime plus que son enfant?... O lien sacré des époux, si je pense à vous, mon ame s'échauffe & s'éleve!... O noms tendres de fils & de fille, je ne vous prononçai jamais sans tressaillir, sans être touché! Rien n'est plus doux à mon oreille; rien n'est plus intéressant à mon cœur... Cécile, rappellez-vous la vie de votre mere: en est-il une plus douce que celle d'une femme qui a employé sa journée à remplir les devoirs d'épouse attentive, de mere tendre, de maîtresse compatissante?... Quel sujet de réflexions délicieuses elle em- porte en son cœur, le soir, quand elle se retire!


55 - Le Pere de Famille /

Dites. Dis mon enfant. Si tu ne me supposes pas une sévérité que je ne connus jamais, tu n'auras pas une réserve déplacée. Vous n'êtes plus un enfant. Comment blâmerois-je en vous un sentiment que je fis naître dans le cœur de votre mere? O vous qui tenez sa place dans ma maison, & qui me la représentez, imitez-la dans la franchise qu'elle eut avec celui qui lui avoit donné la vie, & qui voulut son bonheur & le mien.... Cécile, vous ne me répondez rien?


56 - Le Pere de Famille /

C'est un malheureux, qui gagne son pain comme nous, & qui a uni sa misere à la nôtre.


57 - Le Pere de Famille /

Voilà le vœu que je fis sur vous & sur moi. Il m'a toujours été présent. Je ne vous ai point abandonné au soin du mercénaire. Je vous ai appris moimême à parler, à penser, à sentir. A mesure que vous avanciez en âge, j'ai étudié vos penchans; j'ai formé sur eux le plan de votre éducation, & je l'ai suivi sans relâche. Combien je me suis donné de peines pour vous en épargner? J'ai réglé votre sort à venir sur vos talens & sur vos goûts. Je n'ai rien négligé pour que vous parussiez avec distinction. Et lorsque je touche au moment de recueillir le fruit de ma sollicitude; lorsque je me félicite d'avoir un fils qui répond à sa naissance qui le destine aux meilleurs partis, & à ses qualités personnelles qui l'appellent aux grands emplois, une passion insensée, la fantaisie d'un instant aura tout détruit; & je verrai ses plus belles années perdues, son état manqué & mon attente trompée, & j'y consentirai? Vous l'êtes-vous promis?


58 - Le Pere de Famille /

Dans les choses indifférentes, je prendrai le monde comme il est; mais quand il s'agira du bonheur ou du mal- heur de ma vie, du choix d'une com- pagne...


59 - Le Pere de Famille /

PArlez donc, Monsieur, je vous écoute... Si c'est un malheur que de l'aimer, il est arrivé, & je n'y sais plus de remede... Si on me la refuse, qu'on m'apprenne à l'oublier... L'oublier!... Qui? Elle? Moi? Je le pourrois? Je le voudrois? Que la malédiction de mon pere s'accomplisse sur moi, si jamais j'en ai la pensée!


60 - Le Pere de Famille /

Vous ne vous éloignerez pas.... J'irai.... Je vous suivrai.... Sophie, arrêtez.... Ce n'est ni par vous, ni par moi que je vous conjure.... Vous avez résolu mon malheur & le vôtre... C'est au nom de ces parens cruels... Si je vous perds, je ne pourrai ni les voir, ni les entendre, ni les souffrir... Voulez-vous que je les haïsse?