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1 - Reflexions sur comique-lamoryant /

Et ne croyez pas que cet aveu unanime ſoit difficile à prouver. Pre nez Ariſtophanes, Plaute & Téren- ce; parcourez le Théatre Anglois, & les bonnes Pieces du Théatre Ita lien; rappellez-vous enſuite Mo liere & Renard; conciliez ces preu ves de fait avec les déciſions des Lé- giſlateurs de la Scene, avec Ariſtote, Horace, Deſpréaux, le P. Rapin; & vous trouverez les uns & les autres également oppoſés au ſyſtème du comique-plaintif. Vous ſentirez bien des différences néceſſaires dans les mœurs & dans le génie des Poëtes de chaque Nation. Vous trou verez bien, ſuivant la nature des ſu jets, un air néceſſairement grave dans les Pieces qui attaquent les vices du cœur; un mélange de ba dinage & de ſérieux dans celles qui frondent les travers de l'eſprit; en fin un ton purement comique dans celles qui ne ſont deſtinées qu'à peindre le ridicule: Leves ubi licet; graves ubi decet *. Vous verrez encore* Le P.Porée. que l'art n'eſt point obligé de nous faire rire, & qu'il lui ſuffit ſouvent d'aller juſqu'à ce ſentiment intérieur qui dilate l'ame, ſans paſſer à ces mouvemens immodérés qui font éclater: mais vous n'y verrez point ce ton triſte & dolent, & ce roma- neſque lugubre, devenu ſous mes yeux l'idole des femmes & des jeu nes gens: en un mot, cet examen vous convaincra qu'il eſt contre la nature du genre comique de nous faire pleurer ſur nos défauts, même dans la peinture des vices les plus odieux; que le maſque de Thalie ne ſouffre, pour ainſi dire, que des lar mes de joie ou d'amour; & que ceux qui affectent de lui en faire verſer de quaſi-tragiques, peuvent chercher une autre Divinité pour lui adreſſer leurs hommages.


2 - Betrachtungen über das weinerlich Komische /

Und man glaube nur nicht, daß diese durchgängige Uebereinstimmung schwer zu beweisen sey. Man nehme den Aristophanes, Plautus und Terenz; man durchlaufe das englische Theater und die guten Stücke des Jtaliänischen; man besinne sich hernach auf den Moliere undRegnard und verbinde diese thätlichen Beweise mit den Entscheidungen der dramatischen Gesetzgeber, des Aristoteles, des Horaz, des Despreaux, des P. Rapins, so wird man die einen sowohl, als die andern, dem System des kläglichKomischen gänzlich zuwider finden. Zwar wird man die nothwendigen Verschiedenheiten zwischen den Sitten und dem Genie der Dichter eines jeden Volks bemerken; zwar wird man, nach Beschaffenheit der Gegenstände, in den Stücken, welche die Laster des Herzens angreifen, einen nothwendig ernsthaften Ton antreffen, so wie man in denen, welche mit den Ungereimtheiten des Verstandes zu thun haben, eine Vermischung des Scherzes und des Ernstes, und in denen, welche nur das Lächerliche schildern sollen, nichts als komische Züge und Wendungen finden wird; zwar wird man sehen, daß die Kunst eben nicht verbunden ist, uns zum Lachen zu bewegen, und daß sie sich oft begnügt, uns weiter nicht als auf diejenige innereEmpfindung, welche die Seele erweitert, zu bringen, ohne uns zu den unmäßigen Bewegungen zu treiben, welche laut ausbrechen: Betrachtungen über das aber jenen traurigen und kläglichen Ton, jenesromanenhafte Gewinsle, welches vor unsern Augen der Abgott des Frauenzimmers und der jungen Leute geworden ist, wird man ganz und gar nicht gewahr werden. Mit einem Worte, diese Untersuchung wird uns überzeugen, daß es wider die Natur der komischen Gattung ist, uns unsre Fehler beweinen zu lassen, es mögen auch noch sohäßlicheLaster geschildert werden; daß Thalia, so zu reden, auf ihrer Maske keine andre Thränen, als Thränen der Freude und der Liebe duldet; und daß diejenigen, welche sie quasi=tragische Thränen wollen vergiessen lassen, sich nur eine andre Gottheit für ihre Opfer suchen können.


3 - Discours de la tragedie /

OUtre les trois utilités du poëme dramatique dont j'ai parlé daus le discours précédent, la Tragédie a celle-ci de particuliére, que par la pitié & la crainteelle purge de semblables passions. Ce sont les termes dont Aristote se sert dans sa définition, & qui nous apprennent deux choses. L'une, qu'elle excite la pitié & lacrainte; l'autre, que par leur moyen ellepurge de semblables passions. Il explique la prémiere assez au long, mais il ne ditpas un mot de la derniére; & de toutesles conditions qu'il employe en cette définition, c'est la seule qu'il n'éclaircit point.Il témoigne toutefois dans le dernier chapitre de ses Politiques un dessein d'en parler sort au long dans ce traité, & c'est cequi fait que la plûpart de ses interprétes DE LA TRAGEDIE. 503 veulent que nous ne l'ayons pas entier, parce que nous n'y voyons rien du tout surcette matiere. Quoi qu'il en puisse être, jecroi qu'il est à propos de parler de ce qu'ila dit, avant que de faire effort pour deviner ce qu'il a voulu dire. Les maximesqu'il établit pour l'un pourront nous conduire à quelques conjonctures pour l'autre,& sur la certitude de ce qui nous demeure,nous pourrons fonder une opinion probable de ce qui n'est point venu jusqu'à nous.


4 - Discours de la tragedie /

Nous avous pitié, dit-il, de ceux que nousvoyons souffrir un malheur qu'ils ne méritentpas, & nous craignons qu'il ne nous en arrive un pareil, quand nous le voyons souffrir à nossemblables. Ainsi la pitié embrasse l'intérêtde la personne que nous voyons souffrir,la crainte qui la suit regarde le nôtre, & cepassage seul nous donne assez d'ouverture, pour trouver la maniere dont se fait la purgation des passions dans la Tragédie. Lapitié d'un malheur où nous voyons tomber nos semblables, nous porte à la crainte d'un pareil pour nous; cette crainte au desir de l'éviter; & ce desir à purger, modérer, rectifier, & même déraciner en nous la passion qui plonge à nos yeux dans cemalheur les personnes que nous plaignons:par cette raison commune, mais naturelle& indubitable, que pour éviter l'effet ilfaut retrancher la cause. Cette explication ne plaira pae à ceux qui s'attachent aux 504 SECOND DISCOURS,commentateurs de ce Philosophe. Ils se gênent sur ce passage, & s'accordent si peul'un avec l'autre, que Paul Beny marquejusqu'à douze ou quinze opinions diverses, qu'il réfute avant que de nous donner la sienne. Elle est conforme à celle-cipour le raisonnement, mais elle différe ence point, qu'elle n'en applique l'effet qu'auxRois, & aux Princes, peut-être par cetteraison que la Tragédie ne peut nous faire craindre que les maux que nous voyons arriver à nos semblables, & que n'en faisantarriver qu'à des Rois, & à des Princes, cette crainte ne peut faire d'effet que sur desgens de leur condition. Mais sans doute ila entendu trop littéralement ce mot de nos semblables, & n'a pas assez considéré qu'iln'y avoit point de Rois à Athenes, où se représentoient les poëmes dont Aristote tire ses exemples, & sur lesquels il forme sesrégles. Ce Philosophe n'avoit garde d'avoircette pensée qu'il lui attribue, & n'eût pasemployé dans la définition de la Tragédieune chose dont l'effet pût arriver si rarement, & dont l'utilité se fût restrainte à si peu de personnes. Il est vrai qu'on n'introduit d'ordinaire que des Rois pour premiers acteurs dans la Tragédie, & que lesauditeurs n'ont point de sceptres par oùleur ressembler, afin d'avoir lieu de crain- dre les malheurs qui leur arrivent: maisces Rois sont hommes comme les auditeurs, DE LA TRAGEDIE. 505& tombent dans ces malheurs par l'emportement des passions dont les auditeurs sontcapables. Ils prêtent même un raisonnement aisé à faire du plus grand au moindre, & le spectateur peut concevoir avecfacilité, que si un Roi, pour trop s'abandonner à l'ambition, à l'amour, à la haine,à la vengeance, tombe dans un malheur sigrand qu'il lui fait pitié, à plus forte raison, lui qui n'est qu'un homme du commun, doit tenir la bride à de telles passions,de peur qu'elles ne l'abîment dans un pareilmalheur. Outre que ce n'est pas une nécessité de ne mettre que les infortunes desRois sur le Théatre. Celles des autres hommes y trouveroient place, s'il leur en arrivoit d'assez illustres, & d'assez extraordinaires pour la mériter, & que l'histoireprît assez de soin d'eux pour nous les apprendre. Scédase n'étoit qu'un simple paysan de Leuctres, & je ne tiendrois pas la sienne indigne d'y paroître, si la pureté denotre scéne pouvoit souffrir qu'on y parlâtdu violement effectif de ses deux filles, après que l'idée de la prostitution n'y a puêtre soufferte dans la personne d'une Saintequi en fut garantie.


5 - Discours de la tragedie /

Pour nous faciliter les moyens de fairenaître cette crainte, où Aristote semblenous obliger, il nous aide à choisir les personnes & les événemens, qui peuvent exciter l'une & l'autre. Sur quoi je suppose, 506 S ECOND DISCOURS.ce qui est très-véritable, que notre auditoire n'est composé, ni de méchans, ni deSaints, mais de gens d'une probité commune, & qui ne sont pas si sévérementretranchés dans l'exacte vertu, qu'ils ne soient susceptibles des passions, & capables des périls où elles engagent ceux qui leurdéférent trop. Cela supposé, examinonsceux que ce Philosophe exclud de la Tragédie, pour en venir avec lui à ceux dans lesquels il fait consister sa perfection.


6 - Discours de la tragedie /

Il reste donc à trouver un milieu entreces deux extrémités, par le choix d'unhomme, qui ne soit ni tout-à-fait bon, nitout-à-fait méchant, & qui par une faute, ou foiblesse humaine, tombe dans un malheur qu'il ne mérite pas. Aristote en donne pour exemple Oedipe, & Thyeste, enquoi véritablement je ne comprens point sa pensée. Le prémier me semble ne faireaucune faute, bien qu'il tue son pére, parce qu'il ne le connoit pas, & qu'il ne faitque disputer le chemin en homme de cœurcontre un inconnu qui l'attaque avec avantage. Néanmoins comme la significationdu mot Grec ἀμάρτημα peut s'étendre à unesimple erreur de méconnoissance, telle qu'étoit la sienne, admettons-le avec ce Philosophe, bien que je ne puisse voir quelle passion il nous donne à purger, ni de quoi nous pouvons nous corriger sur son exem- 508 SECOND DISCOURS. ple. Mais pour Thyeste, je n'y puis découvrir cette probité commune, ni cettefaute sans crime, qui le plonge dans sonmalheur. Si nous le regardons avant la Tra- gédie qui porte son nom, c'est un incestueux qui abuse de la femme de son frére.Si nous le considérons dans la Tragédie,c'est un homme de bonne foi qui s'assuresur la parole de son frére, avec qui il s'est réconcilié. En ce prémier état, il est trèscriminel; en ce dernier, très-homme debien. Si nous attribuons son malheur àson inceste, c'est un crime dont l'auditoiren'est point capable, & la pitié qu'il pren- dra de lui n'ira point jusqu'à cette crainte qui purge, parce qu'il ne lui ressemble point. Si nous imputons son desastre àsa bonne-foi, quelque crainte pourra suivre la pitié que nous en aurons; mais ellene purgera qu'une facilité de confiance surla parole d'un ennemi réconcilié, qui estplutôt une qualité d'honnête homme, qu'une vicieuse habitude, & cette purgation ne fera que bannir la sincérité des réconciliations. J'avoue donc avec franchise queje n'entens point l'application de cet exemple.


7 - Discours de la tragedie /

J'avouerai plus. Si la purgation des passions se fait dans la Tragédie, je tiens qu'elle se doit faire de la maniére que je l'explique; mais je doute si elle s'y fait jamais,& dans celles-là mêmes qui ont les conditions que demande Aristote. Elles se ren- DE LA TRAGEDIE. 509 contrent dans le Cid, & en ont causé le grand succès: Rodrigue & Chiméne y ont cetteprobité sujette aux passions, & ces passionsfont leur malheur, puisqu'ils ne sont malheureux qu'autant qu'ils sont passionnésl'un pour l'autre. Ils tombent dans l'inféli- cité par cette foiblesse humaine dont noussommes capables comme eux; leur malheur fait pitié, cela est constant, & il ena coûté assez de larmes aux spectateurspour ne le point contester. Cette pitié nous doit donner une crainte de tomber dans unpareil malheur, & purger en nous ce tropd'amour qui cause leur infortune, & nousles fait plaindre; mais je ne sai si elle nousla donne, ni si elle le purge, & j'ai bienpeur que le raisonnement d'Aristote sur ce point ne soit qu'une belle idée, quin'ait jamais son effet dans la vérité. Jem'en rapporte à ceux qui en ont vû lesreprésentations; ils peuvent en demander compte au secret de leur cœur, & repasser sur ce qui les a touchés au Théatre, pourreconnoître s'ils en sont venus par là jusqu'à cette crainte réfléchie, & si elle arectifié en eux la passion qui a causé ladisgrace qu'ils ont plainte. Un des Interprétes d'Aristote veut qu'il n'aye parlé de cette purgation des passions dans la Tragédie, que parce qu'il écrivoit après Platon,qui bannit les Poëtes Tragiques de sa République, parce qu'ils les remuent trop for- 510 SECOND DISCOURS. tement. Comme il écrivoit pour le contredire, & montrer qu'il n'est pas à proposde les bannir des Etats bien policés, il avoulu trouver cette utilité dans ces agitations de l'ame, pour les rendre recommandables par la raison même, sur qui l'autrese fonde pour les bannir. Le fruit qui peutnaître des impressions que fait la force del'exemple, lui manquoit; la punition des méchantesactions, & la récompense des bonnes, n'étoient pas de l'usage de son siécle, comme nous les avons rendues de celui du nôtre; & n'y pouvant trouver uneutilité solide, hors celle des sentences & desdiscours didactiques, dont la Tragédie sepeut passer selon son avis, il en a substitué une, qui, peut-être, n'est qu'imaginaire.Du moins si pour la produire il faut lesconditions qu'elle demande, elles se rencontrent si rarement, que Robortel ne lestrouve que dans le seul Oedipe, & soutient que ce Philosophe ne nous les prescrit pas comme si nécessaires, que leurmanquement rende un Ouvrage défectueux;mais seulement comme des idées de la perfection des Tragédies. Notre siécle les avues dans le Cid, mais je ne sai s'il les avues en beaucoup d'autres; & si nous voulons rejetter un coup d'œil sur cette régle,nous avouerons que le succès a justifié beaucoup de piéces où elle n'est pas observée.


8 - Discours de la tragedie /

J'avouerai plus. Si la purgation des passions se fait dans la Tragédie, je tiens qu'elle se doit faire de la maniére que je l'explique; mais je doute si elle s'y fait jamais,& dans celles-là mêmes qui ont les conditions que demande Aristote. Elles se ren- DE LA TRAGEDIE. 509 contrent dans le Cid, & en ont causé le grand succès: Rodrigue & Chiméne y ont cetteprobité sujette aux passions, & ces passionsfont leur malheur, puisqu'ils ne sont malheureux qu'autant qu'ils sont passionnésl'un pour l'autre. Ils tombent dans l'inféli- cité par cette foiblesse humaine dont noussommes capables comme eux; leur malheur fait pitié, cela est constant, & il ena coûté assez de larmes aux spectateurspour ne le point contester. Cette pitié nous doit donner une crainte de tomber dans unpareil malheur, & purger en nous ce tropd'amour qui cause leur infortune, & nousles fait plaindre; mais je ne sai si elle nousla donne, ni si elle le purge, & j'ai bienpeur que le raisonnement d'Aristote sur ce point ne soit qu'une belle idée, quin'ait jamais son effet dans la vérité. Jem'en rapporte à ceux qui en ont vû lesreprésentations; ils peuvent en demander compte au secret de leur cœur, & repasser sur ce qui les a touchés au Théatre, pourreconnoître s'ils en sont venus par là jusqu'à cette crainte réfléchie, & si elle arectifié en eux la passion qui a causé ladisgrace qu'ils ont plainte. Un des Interprétes d'Aristote veut qu'il n'aye parlé de cette purgation des passions dans la Tragédie, que parce qu'il écrivoit après Platon,qui bannit les Poëtes Tragiques de sa République, parce qu'ils les remuent trop for- 510 SECOND DISCOURS. tement. Comme il écrivoit pour le contredire, & montrer qu'il n'est pas à proposde les bannir des Etats bien policés, il avoulu trouver cette utilité dans ces agitations de l'ame, pour les rendre recommandables par la raison même, sur qui l'autrese fonde pour les bannir. Le fruit qui peutnaître des impressions que fait la force del'exemple, lui manquoit; la punition des méchantesactions, & la récompense des bonnes, n'étoient pas de l'usage de son siécle, comme nous les avons rendues de celui du nôtre; & n'y pouvant trouver uneutilité solide, hors celle des sentences & desdiscours didactiques, dont la Tragédie sepeut passer selon son avis, il en a substitué une, qui, peut-être, n'est qu'imaginaire.Du moins si pour la produire il faut lesconditions qu'elle demande, elles se rencontrent si rarement, que Robortel ne lestrouve que dans le seul Oedipe, & soutient que ce Philosophe ne nous les prescrit pas comme si nécessaires, que leurmanquement rende un Ouvrage défectueux;mais seulement comme des idées de la perfection des Tragédies. Notre siécle les avues dans le Cid, mais je ne sai s'il les avues en beaucoup d'autres; & si nous voulons rejetter un coup d'œil sur cette régle,nous avouerons que le succès a justifié beaucoup de piéces où elle n'est pas observée.


9 - Discours de la tragedie /

J'avouerai plus. Si la purgation des passions se fait dans la Tragédie, je tiens qu'elle se doit faire de la maniére que je l'explique; mais je doute si elle s'y fait jamais,& dans celles-là mêmes qui ont les conditions que demande Aristote. Elles se ren- DE LA TRAGEDIE. 509 contrent dans le Cid, & en ont causé le grand succès: Rodrigue & Chiméne y ont cetteprobité sujette aux passions, & ces passionsfont leur malheur, puisqu'ils ne sont malheureux qu'autant qu'ils sont passionnésl'un pour l'autre. Ils tombent dans l'inféli- cité par cette foiblesse humaine dont noussommes capables comme eux; leur malheur fait pitié, cela est constant, & il ena coûté assez de larmes aux spectateurspour ne le point contester. Cette pitié nous doit donner une crainte de tomber dans unpareil malheur, & purger en nous ce tropd'amour qui cause leur infortune, & nousles fait plaindre; mais je ne sai si elle nousla donne, ni si elle le purge, & j'ai bienpeur que le raisonnement d'Aristote sur ce point ne soit qu'une belle idée, quin'ait jamais son effet dans la vérité. Jem'en rapporte à ceux qui en ont vû lesreprésentations; ils peuvent en demander compte au secret de leur cœur, & repasser sur ce qui les a touchés au Théatre, pourreconnoître s'ils en sont venus par là jusqu'à cette crainte réfléchie, & si elle arectifié en eux la passion qui a causé ladisgrace qu'ils ont plainte. Un des Interprétes d'Aristote veut qu'il n'aye parlé de cette purgation des passions dans la Tragédie, que parce qu'il écrivoit après Platon,qui bannit les Poëtes Tragiques de sa République, parce qu'ils les remuent trop for- 510 SECOND DISCOURS. tement. Comme il écrivoit pour le contredire, & montrer qu'il n'est pas à proposde les bannir des Etats bien policés, il avoulu trouver cette utilité dans ces agitations de l'ame, pour les rendre recommandables par la raison même, sur qui l'autrese fonde pour les bannir. Le fruit qui peutnaître des impressions que fait la force del'exemple, lui manquoit; la punition des méchantesactions, & la récompense des bonnes, n'étoient pas de l'usage de son siécle, comme nous les avons rendues de celui du nôtre; & n'y pouvant trouver uneutilité solide, hors celle des sentences & desdiscours didactiques, dont la Tragédie sepeut passer selon son avis, il en a substitué une, qui, peut-être, n'est qu'imaginaire.Du moins si pour la produire il faut lesconditions qu'elle demande, elles se rencontrent si rarement, que Robortel ne lestrouve que dans le seul Oedipe, & soutient que ce Philosophe ne nous les prescrit pas comme si nécessaires, que leurmanquement rende un Ouvrage défectueux;mais seulement comme des idées de la perfection des Tragédies. Notre siécle les avues dans le Cid, mais je ne sai s'il les avues en beaucoup d'autres; & si nous voulons rejetter un coup d'œil sur cette régle,nous avouerons que le succès a justifié beaucoup de piéces où elle n'est pas observée.


10 - Discours de la tragedie /

J'avouerai plus. Si la purgation des passions se fait dans la Tragédie, je tiens qu'elle se doit faire de la maniére que je l'explique; mais je doute si elle s'y fait jamais,& dans celles-là mêmes qui ont les conditions que demande Aristote. Elles se ren- DE LA TRAGEDIE. 509 contrent dans le Cid, & en ont causé le grand succès: Rodrigue & Chiméne y ont cetteprobité sujette aux passions, & ces passionsfont leur malheur, puisqu'ils ne sont malheureux qu'autant qu'ils sont passionnésl'un pour l'autre. Ils tombent dans l'inféli- cité par cette foiblesse humaine dont noussommes capables comme eux; leur malheur fait pitié, cela est constant, & il ena coûté assez de larmes aux spectateurspour ne le point contester. Cette pitié nous doit donner une crainte de tomber dans unpareil malheur, & purger en nous ce tropd'amour qui cause leur infortune, & nousles fait plaindre; mais je ne sai si elle nousla donne, ni si elle le purge, & j'ai bienpeur que le raisonnement d'Aristote sur ce point ne soit qu'une belle idée, quin'ait jamais son effet dans la vérité. Jem'en rapporte à ceux qui en ont vû lesreprésentations; ils peuvent en demander compte au secret de leur cœur, & repasser sur ce qui les a touchés au Théatre, pourreconnoître s'ils en sont venus par là jusqu'à cette crainte réfléchie, & si elle arectifié en eux la passion qui a causé ladisgrace qu'ils ont plainte. Un des Interprétes d'Aristote veut qu'il n'aye parlé de cette purgation des passions dans la Tragédie, que parce qu'il écrivoit après Platon,qui bannit les Poëtes Tragiques de sa République, parce qu'ils les remuent trop for- 510 SECOND DISCOURS. tement. Comme il écrivoit pour le contredire, & montrer qu'il n'est pas à proposde les bannir des Etats bien policés, il avoulu trouver cette utilité dans ces agitations de l'ame, pour les rendre recommandables par la raison même, sur qui l'autrese fonde pour les bannir. Le fruit qui peutnaître des impressions que fait la force del'exemple, lui manquoit; la punition des méchantesactions, & la récompense des bonnes, n'étoient pas de l'usage de son siécle, comme nous les avons rendues de celui du nôtre; & n'y pouvant trouver uneutilité solide, hors celle des sentences & desdiscours didactiques, dont la Tragédie sepeut passer selon son avis, il en a substitué une, qui, peut-être, n'est qu'imaginaire.Du moins si pour la produire il faut lesconditions qu'elle demande, elles se rencontrent si rarement, que Robortel ne lestrouve que dans le seul Oedipe, & soutient que ce Philosophe ne nous les prescrit pas comme si nécessaires, que leurmanquement rende un Ouvrage défectueux;mais seulement comme des idées de la perfection des Tragédies. Notre siécle les avues dans le Cid, mais je ne sai s'il les avues en beaucoup d'autres; & si nous voulons rejetter un coup d'œil sur cette régle,nous avouerons que le succès a justifié beaucoup de piéces où elle n'est pas observée.


11 - Discours de la tragedie /

Cependant, quelque difficulté qu'il y ayeà trouver cette purgation effective & sensible des passions, par le moyen de la pitié& de la crainte, il est aisé de nous accommoder avec Aristote. Nous n'avons qu'à dire que par cette façon de s'énoncer, iln'a pas entendu que ces deux moyens yservissent toujours ensemble, & qu'il suffitselon lui de l'un des deux pour faire cettepurgation, avec cette différence toutefois, que la pitié n'y peut arriver sans la crainte, & que la crainte peut y parvenir sans la pitié. La mort du Comte n'en fait aucunedans le Cid, & peut toutefois mieux purger en nous cette sorte d'orgueil envieuxde la gloire d'autrui, que toute la compassion que nous avons de Rodrigue & de DE LA TRAGEDIE. 513 Chiméne ne purge les attachemens de ceviolent amour qui les rend à plaindre l'un& l'autre. L'auditeur peut avoir de la commisération pour Antiochus, pour Nicoméde, pour Héraclius; mais s'il en demeure-là, & qu'il ne puisse craindre de tomber dans un pareil malheur, il ne guérirad'aucune passion. Au contraire, il n'en apoint pour Cléopatre, ni pour Prusias, nipour Phocas; mais la crainte d'une infortune semblable, ou approchante, peut purger en une mére l'opiniâtreté à ne se pointdessaisir du bien de ses enfans; en un mari,le trop de déférence à une seconde femmeau préjudice de ceux de son prémier lit;en tout le monde, l'avidité d'usurper le bien ou la dignité d'autrui par violence; & tout cela proportionnément à la condition d'unchacun, & à ce qu'il est capable d'entreprendre. Les déplaisirs & les irrésolutionsd'Auguste dans Cinna peuvent faire ce dernier effet, par la pitié & la crainte jointesensemble; mais, comme je l'ai déja dit, il n'arrive pas toujours que ceux que nousplaignons soient malheureux par leur faute.Quand ils sont innocens, la pitié que nousen prenons ne produit aucune crainte, & sinous en concevons quelqu'une qui purge nos passions, c'est par le moyen d'une autre personne que de celle qui nous fait pitié, & nous la devons toute à la force del'exemple


12 - Discours de la tragedie /

Cette explication se trouvera autoriséepar Aristote même, si nous voulons bienpeser la raison qu'il rend de l'exclusion deces événemens qu'il desaprouve dans la Tragédie. Il ne dit jamais, celui-là n'y est pas propre, parce qu'il n'excite que la pitié, & ne fait point naître de crainte; & cet autren'y est pas supportable, parce qu'il n'excite quede la crainte, & ne fait point naître de pitié;mais il les rebute, parce, dit-il, qu'ils n'excitent ni pitié ni crainte, & nous donne àconnoître par-là, que c'est par le manquede l'une & de l'autre qu'ils ne lui plaisent pas, & que s'ils produisoient l'une des deux, il ne leur refuseroit point son suffrage.L'exemple d'Oedipe qu'il allégue, me confirme dans cette pensée. Si nous l'encroyons, il a toutes les conditions requi- ses en la Tragédie; néanmoins son malheur n'excite que de la pitié, & je ne pensepas qu'à le voir représenter, aucun de ceuxqui le plaignent s'avise de craindre de tuerson pére, ou d'épouser sa mére. Si sa representation nous peut imprimer quelquecrainte, & que cette crainte soit capable depurger en nous quelque inclination blâmable, ou vicieuse, elle y purgera la curiositéde savoir l'avenir, & nous empêchera d'avoir recours à des prédictions, qui ne servent d'ordinaire qu'à nous faire cheoirdans le malheur qu'on nous prédit, par lessoins mêmes que nous prenons de les évi- DE LA TRAGEDIE. 515 ter; puisqu'il est certain qu'il n'eût jamaistué son pére, ni épousé sa mére, si sonpére & sa mére, à qui l'Oracle avoit prédit que cela arriveroit, ne l'eussent faitexposer de peur qu'il n'arrivât. Ainsi, non seulement ce seront Laïus & Jocaste qui feront naître cette crainte, mais elle ne naîtraque de l'image d'une faute qu'ils ont faitequarante ans avant l'action qu'on représente, & ne s'imprimera en nous que par unautre Acteur que le prémier, & par une action hors de la Tragédie.


13 - Discours de la tragedie /

Il ne veut point qu'un homme tout-àfait innocent tombe dans l'infortune, parce que cela étant abominable, il excite plusd'indignation contre celui qui le persécute, que de pitié pour son malheur; il ne veutpas non plus qu'un très-méchant y tombe,parce qu'il ne peut donner de pitié par unmalheur qu'il mérite, ni en faire craindre un pareil à des Spectateurs qui ne lui ressemblent pas; mais quand ces deux raisonscessent, en sorte qu'un homme de bien quisouffre, excite plus de pitié pour lui, qued'indignation contre celui qui le fait souffrir, ou que la punition d'un grand crimepeut corriger en nous quelque imperfection qui a du rapport avec lui, j'estime qu'ilne faut point faire de difficulté d'exposer sur la scéne des hommes très-vertueux, outrès-méchans, dans le malheur. En voicideux ou trois maniéres, que peut-être Aristote n'a sû prévoir, parce qu'on n'en voyoitpas d'exemples sur les théatres de son temps.


14 - Discours de la tragedie /

Pour nous faciliter les moyens d'excitercette pitié, qui fait de si beaux effets surnos Théatres, Aristote nous donne une lumiére. Toute Action, dit-il, se passe, ou entre des amis, ou entre des ennemis, ou entredes gens indifférens l'un pour l'autre. Qu'unennemi tue ou veuille tuer son ennemi, cela ne produit aucune commiseration; sinon entantqu'on s'émeut d'apprendre ou de voir la mortd'un homme, quel qu'il soit. Qu'un indifférent tue un indifférent, cela ne touche guéresdavantage, d'autant qu'il n'excite aucun combat dans l'ame de celui qui fait l'action. Maisquand les choses arrivent entre des gens que lanaissance ou l'affection attache aux intérêts l'un de l'autre, comme alors qu'un mari tue,ou est prêt de tuer sa femme, une mére ses enfans, un frére sa sœur; c'est ce qui convientmerveilleusement à la Tragédie. La raisonen est claire. Les oppositions des sentimensde la nature aux emportemens de la passion,ou à la sévérité du devoir, forment depuissantes agitations, qui sont recûes de DE LA TRAGEDIE. 519 l'auditeur avec plaisir, & il se porte aisément à plaindre un malheureux oppriméou poursuivi par une personne qui devroits'intéresser à sa conservation, & qui quelquefois ne poursuit sa perte qu'avec déplaisir, ou du moins avec répugnance. Horace & Curiace ne seroient point à plaindre, s'ils n'étoient point amis & beaux-fréres, ni Rodrigue s'il étoit poursuivi par un autre que par sa maîtresse; & le malheurd'Antiochus toucheroit beaucoup moins, siun autre que sa mére lui demandoit le sangde sa maîtresse, ou qu'un autre que sa maî- tresse lui demandât celui de sa mére, ousi après la mort de son frére qui lui donnesujet de craindre un pareil attentat sur sapersonne, il avoit à se défier d'autres quede sa mére & de sa maîtresse.


15 - Discours de la tragedie /

Disons donc qu'elle ne doit s'entendreque de ceux qui connoissent la personnequ'ils veulent perdre, & s'en dédisent par 522 SE COND DISCOURS. un simple changement de volonté, sans aucun événement notable qui les y oblige, &sans aucun manque de pouvoir de leur part.J'ai déja marqué cette sorte de dénouemenspour vicieux. Mais quand ils y font de leur côté tout ce qu'ils peuvent, & qu'ils sont empêchés d'en venir à l'effet par quelquepuissance supérieure, ou par quelque changement de fortune qui les fait périr euxmêmes, ou les réduit sous le pouvoir de ceux qu'ils vouloient perdre, il est hors de doute que cela fait une Tragédie d'un genrepeut-être plus sublime, que les trois qu'Aristote avoue; & que s'il n'en a point parlé, c'est qu'il n'en voyoit point d'exemplessur les théatres de son temps, où ce n'étoit pas la mode de sauver les bons par laperte des méchans, à moins que de les souiller eux-mêmes de quelque crime, commeElectre qui se délivre d'oppression par la mort de sa mére, où elle encourage sonfrére, & lui en facilite les moyens.