Suchbegriff: polyb
Treffer: 181

16 - /

Voilà, remarque Polybe, l'usage qu'il faut faire de ses lectures. Car, y aiant deux voies de profiter & d'apprendre; l'une par sa propre expérience, & l'autre par celle d'autrui; il est bien plus sage & bien plus utile de s'instruire par les fautes des autres, que par les siennes.


17 - /

Il est à remarquer que Polybe ne dit rien de tous ces prodiges de constance.


18 - /

On a remarqué que cette année les vivres furent à un très bas prix: un (a) boisseau de blé, un (b) conge de vin, trente livres de figues séches, dix livres d'huile d'olive, douze livres de viande, toutes ces choses étoient du même prix, & ne coutoient chacune qu'un seul as; & l'as, qui étoit la dixiéme partie du denier Romain évalué par plusieurs Savans à dix sols, ne Polyb. II.103.valoit qu'un sou. Polybe nous apprend que de son tems le boisseau de froment ne va loit ordinairement en Italie que quatorze oboles, c'est-à-dire six sols & demi, & le boisseau d'orge la moitié. Un boisseau de froment suffisoit à un soldat pour huit jours. Dans le tems dont nous parlons, les dépenses extraordinaires qu'il avoit falu faire pour équiper des Flottes, avoient épuisé le trésor public, & rendu l'argent très rare: c'est ce qui avoit fait baisser si fort le prix des vivres.


19 - /

Au point du jour, voyant que le vent, favorable aux Carthaginois, lui étoit fort contraire, & que la mer étoit extrêmement agitée, il hésita d'abord sur le parti qu'il devoit prendre. Mais il fit ensuite réflexion, que s'il donnoit le combat pendant ce gros tems, il n'auroit affaire qu'à l'Armée navale, & à des vaisseaux chargés & pesans: qu'au contraire, s'il attendoit le calme, & laissoit Hannon se joindre avec le camp d'Eryx, il auroit à combattre contre des vaisseaux devenus légers par la décharge de leurs fardeaux; contre l'élite de l'Armée de terre; &, ce qui étoit alors plus formidable que tout le reste, contre l'intrépidité d'Amilcar. Toutes ces raisons le déterminérent à saisir l'occasion présente. Ces motifs de la conduite d'un Général, exposés de la sorte par un homme plus habile encore comme Guerrier que comme Ecrivain, tel

(a) C'étoit une des Iles appellées Egates.

C. Lutat. A. Postum. Cons. que Polybe, ajoutent un prix infini auAn. R.510.A. J. C.242. récit des faits, & en sont comme l'ame.


20 - /

Quand ces tristes nouvelles furent portées à Carthage, elles y causérent d'autant plus de surprise & d'effroi, qu'on s'y étoit moins attendu. Le Sénat ne perdit pas courage. Le desir de continuer la guerre ne leur manquoit pas: mais l'état de leurs affaires s'y refusoit. Les Romains tenant la mer, il n'étoit plus possible d'envoyer ni vivres, ni secours aux Armées de Sicile. Ils dépêchérent donc au plutôt vers Amilcar Barcas qui y commandoit, & laissérent à sa prudence de prendre tel parti qu'il jugeroit à propos. Ce grand homme, tant qu'il avoit vu quelque rayon d'espérance, avoit fait tout ce qu'on pouvoit attendre du courage le plus intrépide, & de la sagesse la plus consommée. C. Lutat. A. Postum. Cons. Mais comme il ne lui restoit plus de resAn. R.510.Av. J. C.242.source, il députa vers le Consul pour traiter d'alliance & de paix: la prudence, dit Polybe, consistant à savoir & résister & céder à propos.


21 - /

Dans l'extrême danger où ceux-ci sePolyb. I. 84. trouvoient, ils furent obligés d'avoir re cours à leurs Alliés. Hiéron, qui pendant cette guerre en considéroit les événemens avec une grande attention, avoit accordé aux Carthaginois tout ce qu'ils demandoient de lui. Il redoubla ses soins, quand il vit les rapides progrès des Etrangers, sentant bien qu'il étoit de son intérêt que les Carthaginois ne fussent pas écrasés, de peur que la puissance des Romains n'aiant plus de

(a) Ces peuples s'étendoient au midi de l'Apennin jusqu'au fleuve Arno.

Ti. Sempron. P. Valer. Cons.An. R.514.Av J. C.238.contrepoids, ne lui devînt trop redoutable à lui-même. En quoi, dit Polybe, on doit remarquer sa sagesse & sa prudence. Car c'est une maxime qui n'est pas à négliger, de ne pas laisser croître une puissance jusqu'au point, qu'on ne lui puisse contester les choses même qui nous appartiennent de droit.


22 - /

Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de justifier ou d'excuser ici la conduite Ti. Sempron. P. Valer. Cons. des Romains. Ils avoient d'abord, commeAn. R.514.Av. J. C.238. nous l'avons dit, refusé l'offre des Mercenaires de Sardaigne, parce que c'eût été une trop grande flétrissure à leur réputation que de recevoir l'Ile de la main de ces usurpateurs, & une infraction du Traité de paix la plus énorme & la plus infame. Ils attendirent que le tems leur fournît une occasion de guerre qu'ils pussent appuyer de quelque apparence de raison, & ils crurent la trouver dans les préparatifs que faisoient les Carthaginois contre la Sardaigne, supposant que c'étoit contr'eux qu'ils prenoient les armes. Mais quelle apparence y avoit-il qu'un peuple absolument épuisé comme l'étoit alors celui de Carthage, songeât à rompre le Traité de paix, & à attaquer de gayeté de cœur les Romains plus puissans qu'ils n'avoient jamais été? Où est cette foi, cette magnanimité, dont les Romains se sont fait quelquefois tant d'honneur? Polybe, leur grand admirateur, ne fait aucune réflexion sur cette conquête de la Sardaigne, & termine le récit qu'il en fait en disant simplement, Que cette affaire n'eut pas de suite. Elle n'en eut pas alors, parce que les Romains étoient les plus forts: mais elle seraLiv. XXI. 1. une des principales causes de la seconde Guerre Punique, comme nous le verrons bientôt.


23 - /

Les troubles domestiques entre le Sénat & le Peuple, qui avoient été suspendus par la guerre contre les Carthaginois, se renouvellérent cette année-ci, à l'occasion d'une Loi que proposa C. Flaminius Tribun du Peuple, tendante à ce qu'on distribuât au peuple quelques terres des Picentins & des Gaulois qui avoient appartenu aux Sénonois. Le Sénat s'opposa fortement à cette Loi, dont il prévoyoit que les suites pouvoient être très funestes à la République, en irritant les Gaulois, & leur fournissant un prétexte de prendre les armes contre Rome; ce que le souvenir de ce qu'elle avoit souffert de leur part, lui faisoit extrêmement appréhender. On employa tantôt les priéres, tantôt les menaces, mais toujours inutilement. On en vint même jusqu'à donner ordre aux Magistrats de tenir des trou- M. Æm. Lepid. M. Pub. Cons.An. R.520.Av. J. C.232.pes prêtes, pour les opposer à la violence du Tribun. Mais l'opiniâtre fierté de Fla minius ne se laissa ni fléchir par les priéres, ni ébranler par les menaces. Il n'eut pas plus d'égard pour les sages avis de son pére, qui lui remontra d'abord avec douceur le tort qu'il se faisoit à lui-même en se donnant ainsi pour chef de cabale, puis lui parla avec plus de force, comme un pére est en droit de le faire à son fils. Le Tribun demeura toujours ferme dans sa résolution, & aiant assemblé le Peuple, il commençoit déja à faire lecture de sa Loi, lorsque son pére, transporté d'une juste indignation, s'avance vers la Tribune aux Harangues, & le saisissant par la main l'en fait descendre, & l'emméne avec lui. Je ne sai si l'Histoire nous fournit aucun fait qui marque mieux combien à Rome l'autorité paternelle étoit grande, & combien elle y étoit respectée. Ce Tribun, qui avoit méprisé l'indignation & les menaces du Sénat entier, dans le feu de l'action même, & à la vue du Peuple si vivement intéressé à la Loi qu'il proposoit, se laisse emmener de la Tribune comme un enfant par la main d'un vieillard: &, ce qui n'est pas moins admirable, l'Assemblée, qui voyoit toutes ses espérances détruites par la retraite de son Tribun, demeure tranquille, sans montrer par aucune plainte ni par le moindre murmure, qu'elle improuvât une action si hardie, & si contraire en apparence à ses intérêts. Mais la promulgation de cette Loi ne fut que différée, & un autre M. Pompon. C. Papir. Cons. Tribun s'étant joint à Flaminius, bientôt aAn. R.520.Av. J. C.232.près la fit passer. Elle devint, selon Poly be, très funeste au Peuple Romain, & don na occasion à la guerre que lui firent, environ huit ans après, les Gaulois.


24 - /

La principale cause & l'occasion de la guerre présente, fut le partage que les Romains, sept ou huit ans auparavant, avoient fait à l'instigation de C. Flaminius Tribun du Peuple des terres du Picénum, dont ils avoient chassé les Sénonois. Nous avons vu que le Sénat s'étoit fortement opposé à cette entreprise, dont il prévoyoit les suites. Plusieurs peuples de la nation Gauloise entrérent dans la querelle des Sénonois, les Boyens sur-tout qui étoient limitrophes aux Romains, & les Insubriens. Ils se persuadérent que ce n'étoit plus simplement pour commander & faire la loi que les Romains attaquoient, mais pour les perdre & les détruire entiérement en les chassant du pays. Dans cette pensée, les Insubriens & les Boyens, les deux plus puissans peuples de la nation, M. Valer. L. Apustius, Cons. se liguent ensemble, comme nous venons deAn. R.526.Av. J. C.226. le dire, & envoient même au-delà des Alpes solliciter les peuples Gaulois qui habitoient le long du Rhône, & qu'on appelloit (a) Gésates, parce qu'ils servoient pour une certaine solde; car, dit Polybe, c'est ce que signifie proprement ce mot: ils vendoient leurs services à tous ceux qui vouloient les employer dans la guerre. Pour gagner leurs Rois, & les engager à armer contre les Romains, ils leur font présent d'une somme considérable: „ils leur mettent devant les yeux la grandeur & la puissance de ce peuple: ils les flatent par la vue des richesses immenses qu'une victoire gagnée sur lui ne manquera pas de leur procurer: ils leur rappellent les exploits de leurs ancêtres, qui aiant pris les armes contre les Romains, les avoient battus en pleine campagne, & pris leur ville.“


25 - /

Ce dénombrement paroîtroit incroyable, s'il n'étoit attesté par un Auteur certainement bien digne de créance: c'est Polybe, qui, vraisemblablement, avoit vu & consulté les Régistres qui en faisoient foi. Je rapporterai ce dénombre ment tel qu'il se trouve dans cet Histo rien. Il nous fera connoitre dans quel état les affaires du Peuple Romain étoient lorsqu'Annibal passa en Italie, ce qui arrivera dans peu d'années; & combien les forces Romaines étoient formidables, lorsque ce Général Carthaginois osa les attaquer.


26 - /

Ce De'nombrement a deuxPolyb. II.112. parties. Dans la prémiére, Polybe expose le nombre des troupes qui servoient actuellement: dans la seconde, le nombre des troupes que l'on pouvoit lever en cas de nécessité. Ce Dénombrement comprend les forces des Romains, & celles de leurs Alliés.


27 - /

Tous ces hommes capables de porter les armes, tant parmi les Romains que parmi les Alliés, montoient à cinq cens soixante & six mille huit cens hommes. Il faut qu'il se soit glissé quelque erreur dans ce dénombrement, & qu'on y ait omis dix-sept cens hommes. En les y ajoutant, les deux sommes, savoir des troupes employées actuellement contre les Gaulois, & de celles qu'on pouvoit encore lever de nouveau, quadrent avec le total marqué par Polybe.


28 - /

Ensuite commença le combat de l'infan terie. Ce fut, dit Polybe, un spectacle bien singulier, & dont, non seulement la vue, mais le simple récit a quelque chose de merveilleux. Car une bataille entre trois Armées tout ensemble, est assurément une action d'une espéce & d'une manœuvre bien particuliére. Les Gaulois trouvoient de grands obstacles & de grands dangers dans la nécessité où ils étoient de combattre de deux côtés, qui sembloit diminuer leurs forces de la moitié: mais aussi, rangés dos à dos, ils se mettoient mutuellement à couvert de tout ce qui pouvoit les prendre en queue. Et, ce qui étoit le plus capable de contribuer à la victoire, tout moyen de fuir leur étoit interdit; & une fois défaits, ils n'avoient plus de ressource, ni aucune espérance de se sauver; ce qui est un motif bien puissant pour encourager des troupes.


29 - /

Polybe n'approuve pas en ce dernier point la conduite de Flaminius, & cet ar rangement des troupes, qui ne leur laissoit aucun espace pour reculer. Car, si pendant le combat les ennemis avoient pressé, C. Flamin. P. Furius, Cons. & gagné tant soit peu de terrain sur sonAn. R.529.Av. J. C.223. Armée, elle eût été renversée & culbutée dans la riviére. Heureusement le courage des Romains les mit à couvert de ce danger.


30 - /

Dans ce récit, nous avons suivi Poly be, qui ne parle que d'Emilius. Cepen dant il faut bien que Livius son collégue ait eu part au succès de la guerre, puisqu'il est constant qu'il triompha: & ce qui va suivre, en est une preuve évidente.