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16 - Lettre sur Messieurs Jean Law, Melon et Dutot /

Louis XIV a eu, en comptant tout le Corps de la Marine, quatre cent quarante mille hommes à sa solde pendant la guerre de 1701; jamais l'Empire Romain n'en a eu tant. On a observé, que le cinquiéme d'une Armée périt au bout d'une campagne, soit par les maladies, soit par les accidens, soit par le fer & le feu. Voilà quatrevingt-huit mille hommes robustes, que la Guerre détruisoit chaque année; donc au bout de dix ans l'Etat perdit huit cent quatrevingt mille hommes, & avec eux les enfans qu'ils auroient produits. Maintenant si la France contient environ dixhuit millions d'ames, ôtez-en près d'une moitié pour les femmes, retranchez les vieillards, les enfans, le Clergé, les Religieux, les Magistrats, & les Laboureurs; que reste-t-il pour défendre la Nation? Sur dix-huit millions à peine trouverez-vous dix-huit cent mille hommes, & la Guerre en dix ans en détruit près de neuf cent mille; elle fait périr dans une Nation la moitié de ceux qui peuvent combattre pour elle; & vous dites qu'un impôt est plus funeste que leur mort?


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12°. Seroit-il possible que dans un testament politique adressé à un Prince âgé de quarante ans passés, un Mi-nistre tel que le Cardinal de Richelieu eût dit tant d'ab-surdités quand il entre dans les détails, & n'eût en gé-néral, annoncé que des vérités triviales, faites pour unenfant qu'on éleve, & non pour un Roi qui régnoit depuis trente années. Il assure que les Rois ont besoin de conseils; qu'un conseiller d'un Roi doit avoir de la capacité & de la probité; qu'il faut suivre la raison, établir le regne de Dieu; que les intérêts publics doi-vent être préférés aux particuliers; que les flatteurs sont dangereux; que l'or & l'argent sont nécessaires. Voila de grandes maximes d'Etat à enseigner à un Roi de quarante ans! Voila des vérités d'une finesse & d'une profondeur dignes du Cardinal de Richelieu!


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Après ces faiseurs de testamens viennent les auteurs d'anecdotes. Nous avons une petite histoire imprimée en 1700. de la façon d'une Mademoiselle Durand, per-sonne fort instruite, qui porte pour titre: Histoire des amours de Grégoire VII. du Cardinal de Richelieu, de la Princesse de Condé, & de la Marquise Durfé. J'ai lû, il y a quelques années, les amours du révérend Pere de la Chaise, Confesseur de Louis XIV.


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Une des plus nobles supercheries & des plus ordi-naires, est celle des écrivains qui se transforment enMinistres d'Etat, & en Seigneurs de la Cour du pays dont ils parlent. On nous a donné une grosse histoire de Louis XIV. écrite sur les mémoires d'un Ministre d'Etat. Ce Ministre étoit un Jésuite chassé de son ordre, qui s'étoit réfugié en Hollande sous le nom deLa Hode, qui s'est fait ensuite Secrétaire d'Etat de France en Hollande pour avoir du pain.


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Qui ne croiroit un tel fait, circonstancié, appuyé du témoignage de Louis XIV, & rapporté par un Courtisan de ce Monarque, par un homme-d'honneur qui avoit soin de recueillir toutes les Anecdotes? Cependant il est très-faux que la Donna Molina soit morte alors, il est tout aussi faux qu'il y ait eu trois Cameristes malades, & non moins faux que Louis XIV ait prononcé des paroles aussi indiscretes. Ce n'étoit point Mr. de Dangeau qui faisoit ces malheureux Mémoires: c'étoit un vieux Valet de chambre imbécile, qui se mêloit de faire à tort & à travers des Gazettes Manuscrites de toutes les sottises qu'il entendoit dans les antichambres. Je suppose cependant que ces Mémoires tombassent dans cent ans entre les mains de quelque Compilateur: que de calomnies alors sous presse! que de mensonges répétés dans tous les Journaux! Il faut tout lire avec défiance. Aristote avoit bien raison, quand il disoit, que le doute est le commencement de la sagesse.


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Qui ne croiroit un tel fait, circonstancié, appuyé du témoignage de Louis XIV, & rapporté par un Courtisan de ce Monarque, par un homme-d'honneur qui avoit soin de recueillir toutes les Anecdotes? Cependant il est très-faux que la Donna Molina soit morte alors, il est tout aussi faux qu'il y ait eu trois Cameristes malades, & non moins faux que Louis XIV ait prononcé des paroles aussi indiscretes. Ce n'étoit point Mr. de Dangeau qui faisoit ces malheureux Mémoires: c'étoit un vieux Valet de chambre imbécile, qui se mêloit de faire à tort & à travers des Gazettes Manuscrites de toutes les sottises qu'il entendoit dans les antichambres. Je suppose cependant que ces Mémoires tombassent dans cent ans entre les mains de quelque Compilateur: que de calomnies alors sous presse! que de mensonges répétés dans tous les Journaux! Il faut tout lire avec défiance. Aristote avoit bien raison, quand il disoit, que le doute est le commencement de la sagesse.


22 - /

Il répéte encore après Hérodote, qu'on entretenoit d'ordinaire en Egypte, c'est-à-dire, dans un Païs beaucoup moins grand que la France, quatre cent mille soldats; qu'on donnoit à chacun cinq livres de pain par jour, & deux livres de viande. C'est donc huit cent mille livres de viande par jour pour les seuls soldats, dans un Païs, où l'on n'en mangeoit presque point. D'ailleurs, à qui appartenoient ces quatre cent mille soldats, quand l'Egypte étoit divisée en plusieurs petites Principautés? On ajoute, que chaque soldat avoit six arpens francs de contribution; voilà donc deux millions quatre cent mille arpens, qui ne payent rien à l'Etat. C'est cependant ce petit Etat, qui entretenoit plus de soldats que n'en a aujourd'hui le Grand-Seigneur, Maître de l'Egypte & de dix fois plus de païs que l'Egypte n'en contient. Louis XIV a eu quatre cent mille hommes sous les armes pendant quelques années; mais c'étoit un effort, & cet effort a ruïné la France.


23 - /

Il y a des Livres, qui m'apprennent les Anecdotes vrayes ou fausses d'une Cour. Quiconque a vû les Cours, ou a eu envie de les voir, est aussi avide de ces illustres bagatelles, qu'une femme de Province aime à sçavoir les nouvelles de sa petite Ville. C'est au fond la même cho-se & le même mérite. On s'entretenoit sous Henri IV, des Anecdotes de Charles IX. On parloit encore de Mr. de Duc de Bellegarde dans les premieres années de Louis XIV. Toutes ces petites mignatures se conservent une génération ou deux, & périssent ensuite pour jamais.


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Il répéte encore après Hérodote, qu'on entretenoit d'ordinaire en Egypte, c'est-à-dire, dans un Païs beau- coup moins grand que la France, quatre cent mille sol- dats; qu'on donnoit à chacun cinq livres de pain par jour, & deux livres de viande. C'est donc huit cent mille livres de viande par jour pour les seuls soldats, dans un Païs, où l'on n'en mangeoit presque point. D'ailleurs, à qui appartenoient ces quatre cent mille sol- dats, quand l'Egypte étoit divisée en plusieurs petites Principautés? On ajoute, que chaque soldat avoit six arpens francs de contribution; voilà donc deux millions quatre cent mille arpens, qui ne payent rien à l'Etat. C'est cependant ce petit Etat, qui entretenoit plus de soldats que n'en a aujourd'hui le Grand-Seigneur, Maître de l'Egypte & de dix fois plus de païs que l'Egypte n'en contient. Louis XIV a eu quatre cent mille hommes sous les armes pendant quelques années; mais c'étoit un effort, & cet effort a ruïné la France.


25 - /

Il y a des Livres, qui m'apprennent les Anecdotes vray- es ou fausses d'une Cour. Quiconque a vû les Cours, ou a eu envie de les voir, est aussi avide de ces illustres bagatelles, qu'une femme de Province aime à sçavoir les nouvelles de sa petite Ville. C'est au fond la même cho- NOUVELLES CONSIDERATIONS se & le même mérite. On s'entretenoit sous Henri IV, des Anecdotes de Charles IX. On parloit encore de Mr. de Duc de Bellegarde dans les premieres années de Louis XIV. Toutes ces petites mignatures se conservent une génération ou deux, & périssent ensuite pour jamais.


26 - /

Ce n'est point la vie de Louïs XIV qu'on prétend écrire, on se propose un plus grand objet. On veut essayer de peindre à la Postérité, non les actions d'un seul homme; mais l'esprit des hommes dans le siécle le plus éclairé qui fut jamais.


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Enfin, le quatriéme siécle est celui qu'on nomme le siécle de Louïs XIV, & c'est peut-être celui des quatre, qui approche le plus de la perfection. Enrichi des dé- couvertes des trois autres, il a plus fait en certain genre, que les trois ensemble. Tous les Arts à la vérité n'ont point été poussez plus loin que sous les Médicis, sous les Augustes & les Alexandres; mais la raison humaine en général s'est perfectionnée. La saine Philosophie n'a été connue que dans ce tems: Et il est vrai de dire, qu'à commencer depuis les dernieres années du Cardinal de Richelieu, jusqu'à celles qui ont suivi la mort de Louïs XIV, il s'est fait dans nos Arts, dans nos esprits, dans nos mœurs, comme dans notre Gouvernement, une révolu- tion générale, qui doit servir de marque éternelle à la vé- ritable gloire de notre Patrie. Cette heureuse influence ne s'est pas même arrêtée en France; elle s'est étendue en Angleterre; elle a excité l'émulation dont avoit alors besoin cette Nation spirituelle & profonde; elle a porté le goût en Allemagne, les Sciences en Moscovie; elle a même ranimé l'Italie qui languissoit, & l'Europe a dû sa politesse à Louïs XIV.


28 - /

Enfin, le quatriéme siécle est celui qu'on nomme le siécle de Louïs XIV, & c'est peut-être celui des quatre, qui approche le plus de la perfection. Enrichi des dé- couvertes des trois autres, il a plus fait en certain genre, que les trois ensemble. Tous les Arts à la vérité n'ont point été poussez plus loin que sous les Médicis, sous les Augustes & les Alexandres; mais la raison humaine en général s'est perfectionnée. La saine Philosophie n'a été connue que dans ce tems: Et il est vrai de dire, qu'à commencer depuis les dernieres années du Cardinal de Richelieu, jusqu'à celles qui ont suivi la mort de Louïs XIV, il s'est fait dans nos Arts, dans nos esprits, dans nos mœurs, comme dans notre Gouvernement, une révolu- tion générale, qui doit servir de marque éternelle à la vé- ritable gloire de notre Patrie. Cette heureuse influence ne s'est pas même arrêtée en France; elle s'est étendue en Angleterre; elle a excité l'émulation dont avoit alors besoin cette Nation spirituelle & profonde; elle a porté le goût en Allemagne, les Sciences en Moscovie; elle a même ranimé l'Italie qui languissoit, & l'Europe a dû sa politesse à Louïs XIV.


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Enfin, le quatriéme siécle est celui qu'on nomme le siécle de Louïs XIV, & c'est peut-être celui des quatre, qui approche le plus de la perfection. Enrichi des dé- couvertes des trois autres, il a plus fait en certain genre, que les trois ensemble. Tous les Arts à la vérité n'ont point été poussez plus loin que sous les Médicis, sous les Augustes & les Alexandres; mais la raison humaine en général s'est perfectionnée. La saine Philosophie n'a été connue que dans ce tems: Et il est vrai de dire, qu'à commencer depuis les dernieres années du Cardinal de Richelieu, jusqu'à celles qui ont suivi la mort de Louïs XIV, il s'est fait dans nos Arts, dans nos esprits, dans nos mœurs, comme dans notre Gouvernement, une révolu- tion générale, qui doit servir de marque éternelle à la vé- ritable gloire de notre Patrie. Cette heureuse influence ne s'est pas même arrêtée en France; elle s'est étendue en Angleterre; elle a excité l'émulation dont avoit alors besoin cette Nation spirituelle & profonde; elle a porté le goût en Allemagne, les Sciences en Moscovie; elle a même ranimé l'Italie qui languissoit, & l'Europe a dû sa politesse à Louïs XIV.


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On se propose de montrer ici ce qu'ils ont été sous Louis XIV & l'on souhaite, que la Postérité de ce Mo- narque, & celle de ses Peuples, également animées d'une heureuse émulation, s'efforcent de surpasser leurs Ancêtres.