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Faisant réflexion qu'ils alloient combattre en pleine mer, & que la force des ennemis consistoit dans la légéreté de leurs vaisseaux, ils songérent à prendre une ordonnance qui fût sure, & qu'on eût peine à rompre. Pour cela les deux vaisseaux à six rangs que montoient les deux Consuls Régulus & Manlius, furent mis de front à côté l'un de l'autre. Ils étoient suivis chacun d'une ligne ou file de vaisseaux, dont l'une formoit la prémiére Escadre, & l'autre la seconde. Les bâtimens de chaque ligne s'écartoient, & élargissoient l'intervalle du milieu à mesure qu'ils se rangeoient, & tenoient leurs proues tournées en dehors. Les deux prémiéres Escadres ainsi rangées for- L. Manl. M. At. Regul. Cons. moient les deux côtés d'un triangle aigu.An. R.496.Av. J. C.256. L'espace du milieu étoit vuide. La troisiéme Escadre faisoit la base du triangle, s'étendant en large depuis le bout de la prémiére Escadre jusqu'à celui de la seconde. Ainsi l'ordre de bataille avoit la figure d'un triangle. Cette troisiéme Escadre remorquoit les vaisseaux de charge placés derriére elle sur une longue ligne. Enfin la quatriéme Escadre, ou les Triaires, venoit après, tellement rangée, qu'elle débordoit des deux côtés la ligne qui la précédoit.


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En même tems Hannon, qui commandoit l'aile droite, & qui au commencement du combat l'avoit tenue à quelque distance du reste de l'Armée, s'avançant en pleine mer, vient tomber en queue sur les vaisseaux des Triaires, & y jette le trouble & la confusion. D'un autre côté, les Carthaginois de l'aile gauche qui étoient proche de la terre en courbure, changent de situation, se rangent de front tenant leurs proues L. Manl. M. At. Regul. Cons.An. R.496.Av. J. C.256.opposées à l'ennemi, & fondent sur la troisiéme Escadre, dont les galéres étoient attachées aux vaisseaux de charge pour les remorquer. Ceux-ci lâchent aussitôt leurs cordes, & en viennent aux mains. Ainsi toute cette bataille étoit divisée en trois parties, qui faisoient autant de combats fort éloignés l'un de l'autre. L'avantage fut longtems égal & balancé de part & d'autre. Mais enfin l'Escadre que commandoit A milcar ne pouvant plus résister, fut mise en fuite, & Manlius attacha à ses vaisseaux ceux qu'il avoit pris. Régulus vient au secours des Triaires & des vaisseaux de charge, menant avec lui les bâtimens de la seconde Escadre qui n'avoient rien souffert. Pendant qu'il est aux mains avec la Flotte de Hannon, les Triaires qui étoient prêts de se rendre reprennent courage, & retournent à la charge avec vigueur. Les Carthaginois attaqués devant & derriére, embarrassés & enveloppés par le nouveau secours, pliérent, & prirent la fuite.


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Sur ces entrefaites Manlius revient, & aperçoit la troisiéme Escadre aculée contre le rivage par les Carthaginois de l'aile gauche. Les vaisseaux de charge & les Triai res étant en sureté, ils se joignent, Régu lus & lui, pour courir la tirer du danger où elle étoit. Car elle soutenoit une espéce de siége, & elle auroit été immanquablement défaite, si les Carthaginois, par la crainte de l'abordage & du combat de pié ferme, ne se fussent contentés de la resser- L. Manl. M. At. Regul. Cons. rer contre la terre. Les Consuls arrivent,An. R.496.Av. J. C.256. entourent les Carthaginois, & leur enlévent cinquante vaisseaux avec tout l'équipage. Quelques-uns ayant viré vers la terre, trouvérent leur salut dans la fuite. Telle fut l'issue de tous les combats particuliers, d'où résulta pour les Romains l'avantage général de toute l'action, & une victoire complette. Pour vingt-quatre de leurs vaisseaux qui périrent, il en périt plus de trente du côté des Carthaginois. Nul vaisseau des Romains ne tomba en la puissance de leurs ennemis, & ceux-ci en perdirent soixante-quatre.


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Quelques jours après les Consuls partirent avec la Flotte. Ce ne fut point sans une extrême répugnance de la part de quelques soldats, & même de quelques Officiers, à qui le nom seul de mer, de longue navi gation, de rivage ennemi faisoit peur. Mannius Tribun de Légion se distingua entre tous les autres, & porta les plaintes & le murmure jusqu'au refus d'obéir. Régulus, qui étoit homme ferme & d'autorité, en lui montrant les verges & les haches que portoit le Licteur, lui dit d'un ton mana-

(a) Isto te metu, Hanno, fides civitatis nostræ liberat. Val. Max. VI. 6.

L. Manl. M. At. Regul. Cons. çant qu'il sauroit bien se faire obéir. UneAn. R.496.Av. J. C.256. crainte (a) en étoufa une autre, & la menace d'une mort présente le rendit hardi navigateur.


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Le courier étant revenu de Rome, apporta les ordres du Sénat, qui avoit jugé à propos de continuer à Régulus sous la qualité de Proconsul le commandement des Armées de l'Afrique, & de rappeller son Collégue avec une grande partie de la Flotte & des troupes, ne laissant à Régulus que quarante vaisseaux, quinze mille hommes L. Manl. M. At. Regul. Cons. de pié, & cinq cens chevaux. On pouAn. R.496.Av. J. C.256.voit avoir besoin d'une partie de la Flotte pour conserver les conquêtes de la Sicile: mais c'étoit renoncer visiblement au fruit que l'on pouvoit attendre de la descente en Afrique, que de réduire les forces du Consul à un si petit nombre de vaisseaux & de troupes.


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An. R.497.Av. J. C.255.Régulusdemandequ'on luienvoie unsuccesseur.

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J'ai déja dit que le Sénat n'avoit pas jugé à propos de rappeller Régulus d'Afrique, & d'interrompre le cours de ses victoires, mais qu'il lui avoit continué le commandement des Armées. Personne ne fut autant affligé de ce Decret, que celui à qui il étoit si glorieux. Il écrivit au Sénat pour s'en plaindre, & pour demander qu'on lui envoyât un successeur. Une de ses raisons étoit, qu'un homme de journée profitant de l'occasion de la mort de son FerServ. Fulv. M. Æmil. Cons.An. R.497.Av. J. C.255.mier, qui cultivoit son petit champ composé de sept arpens, s'étoit enfui après avoir enlevé tout son équipage rustique: Que sa présence étoit donc nécessaire, de peur que si son champ venoit à n'être plus cultivé, il n'eût point de quoi nourrir sa femme & ses enfans. Le Sénat ordonna que le champ seroit cultivé aux dépens du public, qu'on rachetteroit les instrumens du labour qui avoient été volés, & que la République se chargeroit aussi de la nourriture & de l'en tretien de la femme & des enfans de Régu lus. Ainsi (a) le Peuple Romain se cons titua en quelque sorte le Fermier de Régu lus. Voila (b) ce que couta au Trésor public un si rare exemple de vertu, qui fe ra honneur à Rome pendant la durée de tous les siécles.


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que le champ seroit cultivé aux dépens du public, qu'on rachetteroit les instrumens du labour qui avoient été volés, & que la République se chargeroit aussi de la nourriture & de l'en tretien de la femme & des enfans de Régu lus.

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J'ai déja dit que le Sénat n'avoit pas jugé à propos de rappeller Régulus d'Afrique, & d'interrompre le cours de ses victoires, mais qu'il lui avoit continué le commandement des Armées. Personne ne fut autant affligé de ce Decret, que celui à qui il étoit si glorieux. Il écrivit au Sénat pour s'en plaindre, & pour demander qu'on lui envoyât un successeur. Une de ses raisons étoit, qu'un homme de journée profitant de l'occasion de la mort de son FerServ. Fulv. M. Æmil. Cons.An. R.497.Av. J. C.255.mier, qui cultivoit son petit champ composé de sept arpens, s'étoit enfui après avoir enlevé tout son équipage rustique: Que sa présence étoit donc nécessaire, de peur que si son champ venoit à n'être plus cultivé, il n'eût point de quoi nourrir sa femme & ses enfans. Le Sénat ordonna que le champ seroit cultivé aux dépens du public, qu'on rachetteroit les instrumens du labour qui avoient été volés, & que la République se chargeroit aussi de la nourriture & de l'en tretien de la femme & des enfans de Régu lus. Ainsi (a) le Peuple Romain se cons titua en quelque sorte le Fermier de Régu lus. Voila (b) ce que couta au Trésor public un si rare exemple de vertu, qui fe ra honneur à Rome pendant la durée de tous les siécles.


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Quelle étonnante simplicité dans ce vainqueur des Carthaginois! Quelqu'un ne dira- t-il point, quelle rusticité? Mais quelle noblesse & quelle grandeur d'ame! Je ne sai où l'on doit plus l'admirer: ou à la tête des Armées, vainquant les ennemis de l'E tat; ou à la tête de ses compagnons de travail, cultivant son petit champ. On voit ici combien le vrai mérite est supérieur aux richesses. La gloire de Régulus subsiste encore; car qui peut lui refuser son estime? Le

(a) Fuit næ tanti servum non habere, ut colonus ejus Populus Romanus esset. Senec. de Consol. ad Helv. cap. 12.

(b) Tanti ærario nostro virtutis Atilianæ exempium, quo omnis ætas Romana gloriabitur, stetit.Val. Max. IV. 4.

Serv. Fulv. M. Æmil. Cons. bien de ces gros riches périt avec eux, &An. R.497.Av. J. C.255.Polyb. I. 31. souvent même avant eux.


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Pour Régulus, il ne laissoit pas la sienneCombatcontre leSerpent deBagrada.Val. Max.I. 8. en repos. Allant toujours de proche en proche, il ruïnoit tout ce qui se rencontroit sur son passage. Etant arrivé en un lieu par où passe le fleuve* Bagrada, il y trou va, s'il en faut croire les Historiens, un ennemi d'un genre tout nouveau, auquel il ne s'attendoit point, & de qui toute son Armée eut beaucoup à souffrir: c'étoit un serpent d'une grandeur monstrueuse. Quand les soldats approchoient de la riviére pour y faire de l'eau, il se lançoit sur eux, les écrasoit du poids de son corps, ou les étoufoit dans les replis de sa queue, ou les faisoit périr par le souffle empesté de sa gueule. Les dures écailles de sa peau le rendoient invulnérable à tous les traits & à toutes les armes. Il falut dresser contre lui des

* Fleuv#P+9#P-{!D} situé entre Utique & Carthage. Il se nomme maintenant Mégrada.

Serv. Fulv. M. Æmil. Cons.An. R.497.Av. J. C.255.balistes & des catapultes, & l'attaquer en forme comme une Citadelle. Enfin, après bien des coups inutiles, une grosse & énorme pierre, lancée avec une roideur extrême, lui brisa l'épine du dos, & le coucha par terre. On eut bien de la peine à l'achever, tant les soldats craignoient d'approcher d'un ennemi encore formidable, quoique dans le sein presque de la mort. Régulus en envoya les dépouilles à Rome, c'est-à-dire saPlin. VIII.peau, longue de six-vingts piés. Elle fut suspendue dans un Temple, où Pline le Naturaliste dit qu'on la voyoit encore du tems de la guerre de Numance.


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Pour Régulus, il ne laissoit pas la sienneCombatcontre leSerpent deBagrada.Val. Max.I. 8. en repos. Allant toujours de proche en proche, il ruïnoit tout ce qui se rencontroit sur son passage. Etant arrivé en un lieu par où passe le fleuve* Bagrada, il y trou va, s'il en faut croire les Historiens, un ennemi d'un genre tout nouveau, auquel il ne s'attendoit point, & de qui toute son Armée eut beaucoup à souffrir: c'étoit un serpent d'une grandeur monstrueuse. Quand les soldats approchoient de la riviére pour y faire de l'eau, il se lançoit sur eux, les écrasoit du poids de son corps, ou les étoufoit dans les replis de sa queue, ou les faisoit périr par le souffle empesté de sa gueule. Les dures écailles de sa peau le rendoient invulnérable à tous les traits & à toutes les armes. Il falut dresser contre lui des

* Fleuv#P+9#P-{!D} situé entre Utique & Carthage. Il se nomme maintenant Mégrada.

Serv. Fulv. M. Æmil. Cons.An. R.497.Av. J. C.255.balistes & des catapultes, & l'attaquer en forme comme une Citadelle. Enfin, après bien des coups inutiles, une grosse & énorme pierre, lancée avec une roideur extrême, lui brisa l'épine du dos, & le coucha par terre. On eut bien de la peine à l'achever, tant les soldats craignoient d'approcher d'un ennemi encore formidable, quoique dans le sein presque de la mort. Régulus en envoya les dépouilles à Rome, c'est-à-dire saPlin. VIII.peau, longue de six-vingts piés. Elle fut suspendue dans un Temple, où Pline le Naturaliste dit qu'on la voyoit encore du tems de la guerre de Numance.


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De Bagrada Régulus s'avança vers* Adis, une des plus fortes places du pays, & en forma le siége. Les Carthaginois marchérent aussitôt au secours de cette place. Ils se postérent sur une colline qui commandoit le camp des Romains, & d'où ils pouvoient fort les incommoder, mais dont la situation rendoit inutile une partie de leur Armée. Car la principale force des Carthaginois consistoit dans la cavalerie & les éléphans, qui ne sont d'usage que dans les plaines. Régulus ne leur laissa pas le tems d'y descendre: & pour profiter de la faute essentielle des Généraux Carthaginois, il les attaqua dans ce poste, & après une foible résistance de leur part, leurs propres éléphans les aiant plus incommodés que les ennemis mêmes, il les mit en déroute. La

* Elle ne subsiste plus. On ignore sa situatiou.

Serv. Fulv. M. Æmil. Cons. plaine mit en sureté la cavalerie & les éléAn. R.497.Av. J. C.255.phans. Les vainqueurs, après avoir poursuivi quelque tems l'infanterie, revinrent piller le camp. Il y eut dans cette action dix-sept mille morts du côté des Carthaginois, cinq mille prisonniers avec douze éléphans. La nouvelle de cette victoire, qui se répandit bientôt par-tout, gagna aux Romains non seulement les contrées voisines, mais des peuples fort éloignés, & en peu de jours près de quatre-vingts villes ou bourgs se rendirent à eux. Régulus, peuPrise deTunis. de tems après, se rendit maitre de Tunis, place importante, & qui l'approchoit fort de Carthage, dont elle n'étoit éloignée que de douze ou quinze milles, c'est-à-dire de quatre ou cinq lieues.


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De Bagrada Régulus s'avança vers* Adis, une des plus fortes places du pays, & en forma le siége. Les Carthaginois marchérent aussitôt au secours de cette place. Ils se postérent sur une colline qui commandoit le camp des Romains, & d'où ils pouvoient fort les incommoder, mais dont la situation rendoit inutile une partie de leur Armée. Car la principale force des Carthaginois consistoit dans la cavalerie & les éléphans, qui ne sont d'usage que dans les plaines. Régulus ne leur laissa pas le tems d'y descendre: & pour profiter de la faute essentielle des Généraux Carthaginois, il les attaqua dans ce poste, & après une foible résistance de leur part, leurs propres éléphans les aiant plus incommodés que les ennemis mêmes, il les mit en déroute. La

* Elle ne subsiste plus. On ignore sa situatiou.

Serv. Fulv. M. Æmil. Cons. plaine mit en sureté la cavalerie & les éléAn. R.497.Av. J. C.255.phans. Les vainqueurs, après avoir poursuivi quelque tems l'infanterie, revinrent piller le camp. Il y eut dans cette action dix-sept mille morts du côté des Carthaginois, cinq mille prisonniers avec douze éléphans. La nouvelle de cette victoire, qui se répandit bientôt par-tout, gagna aux Romains non seulement les contrées voisines, mais des peuples fort éloignés, & en peu de jours près de quatre-vingts villes ou bourgs se rendirent à eux. Régulus, peuPrise deTunis. de tems après, se rendit maitre de Tunis, place importante, & qui l'approchoit fort de Carthage, dont elle n'étoit éloignée que de douze ou quinze milles, c'est-à-dire de quatre ou cinq lieues.


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De Bagrada Régulus s'avança vers* Adis, une des plus fortes places du pays, & en forma le siége. Les Carthaginois marchérent aussitôt au secours de cette place. Ils se postérent sur une colline qui commandoit le camp des Romains, & d'où ils pouvoient fort les incommoder, mais dont la situation rendoit inutile une partie de leur Armée. Car la principale force des Carthaginois consistoit dans la cavalerie & les éléphans, qui ne sont d'usage que dans les plaines. Régulus ne leur laissa pas le tems d'y descendre: & pour profiter de la faute essentielle des Généraux Carthaginois, il les attaqua dans ce poste, & après une foible résistance de leur part, leurs propres éléphans les aiant plus incommodés que les ennemis mêmes, il les mit en déroute. La

* Elle ne subsiste plus. On ignore sa situatiou.

Serv. Fulv. M. Æmil. Cons. plaine mit en sureté la cavalerie & les éléAn. R.497.Av. J. C.255.phans. Les vainqueurs, après avoir poursuivi quelque tems l'infanterie, revinrent piller le camp. Il y eut dans cette action dix-sept mille morts du côté des Carthaginois, cinq mille prisonniers avec douze éléphans. La nouvelle de cette victoire, qui se répandit bientôt par-tout, gagna aux Romains non seulement les contrées voisines, mais des peuples fort éloignés, & en peu de jours près de quatre-vingts villes ou bourgs se rendirent à eux. Régulus, peuPrise deTunis. de tems après, se rendit maitre de Tunis, place importante, & qui l'approchoit fort de Carthage, dont elle n'étoit éloignée que de douze ou quinze milles, c'est-à-dire de quatre ou cinq lieues.