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16 - Discours de la tragedie /

Ce n'est pas démentir Aristote, que del'expliquer ainsi favorablement, pour trouver dans cette quatriéme maniére d'agirqu'il rebute, une espéce de nouvelle Tragédie plus belle que les trois qu'il recommande, & qu'il leur eût sans doute préférée, s'il l'eût connue. C'est faire honneurà notre siécle, sans rien retrancher de l'autorité de ce Philosophe; mais je ne sai comment faire pour lui conserver cette autorité, & renverser l'ordre de la préférence qu'il établit entre ces trois espéces. Cependant jepense être bien fondé sur l'expérience, àdouter si celle qu'il estime la moindre destrois, n'est point la plus belle, & si cellequ'il tient la plus belle, n'est point la moin- 524 SECOND DISCOURS. dre. La raison est que celle-ci ne peut exciter de pitié. Un pére y veut perdre sonfils sans le connoître, & ne le regarde quecomme indifférent, & peut - être commeennemi. Soit qu'il passe pour l'un ou pourl'autre, son péril n'est digne d'aucune commisération selon Aristote même, & ne fait naître en l'auditeur qu'un certain mouvement de trépidation intérieure, qui le porte à craindre que ce fils ne périsse avantque l'erreur soit découverte, & à souhaiterqu'elle se découvre assez tôt pour l'empêcher de périr: ce qui part de l'intérêt qu'onne manque jamais à prendre dans la fortune d'un homme assez vertueux pour se faire aimer; & quand cette reconnoissance arrive, elle ne produit qu'un sentiment de conjouïssance de voir arriver la chose comme on le souhaitoit.


17 - Discours de la tragedie /

Ce n'est pas démentir Aristote, que del'expliquer ainsi favorablement, pour trouver dans cette quatriéme maniére d'agirqu'il rebute, une espéce de nouvelle Tragédie plus belle que les trois qu'il recommande, & qu'il leur eût sans doute préférée, s'il l'eût connue. C'est faire honneurà notre siécle, sans rien retrancher de l'autorité de ce Philosophe; mais je ne sai comment faire pour lui conserver cette autorité, & renverser l'ordre de la préférence qu'il établit entre ces trois espéces. Cependant jepense être bien fondé sur l'expérience, àdouter si celle qu'il estime la moindre destrois, n'est point la plus belle, & si cellequ'il tient la plus belle, n'est point la moin- 524 SECOND DISCOURS. dre. La raison est que celle-ci ne peut exciter de pitié. Un pére y veut perdre sonfils sans le connoître, & ne le regarde quecomme indifférent, & peut - être commeennemi. Soit qu'il passe pour l'un ou pourl'autre, son péril n'est digne d'aucune commisération selon Aristote même, & ne fait naître en l'auditeur qu'un certain mouvement de trépidation intérieure, qui le porte à craindre que ce fils ne périsse avantque l'erreur soit découverte, & à souhaiterqu'elle se découvre assez tôt pour l'empêcher de périr: ce qui part de l'intérêt qu'onne manque jamais à prendre dans la fortune d'un homme assez vertueux pour se faire aimer; & quand cette reconnoissance arrive, elle ne produit qu'un sentiment de conjouïssance de voir arriver la chose comme on le souhaitoit.


18 - Discours de la tragedie /

Je sai que l'agnition est un grand ornement dans les Tragédies, Aristote le dit;mais il est certain qu'elle a ses incommodités. Les Italiens l'affectent en la plupartde leurs poëmes, & perdent quelquefois,par l'attachement qu'ils y ont, beaucoup d'occasions de sentimens pathétiques, quiauroient des beautés plus considérables. Cela se voit manifestement en la mort de Crispe, faite par un de leurs plus beaux esprits,Jean-Baptiste Ghirardelli, & imprimée àRome en l'année 1653. Il n'a pas manqué d'y cacher sa naissance à Constantin, &d'en faire feulement un grand Capitaine,qu'il ne reconnoit pour son fils qu'aprèsqu'il l'a fait mourir. Toute cette piéce estsi pleine d'esprit & de beaux sentimens, qu'elle eut assez d'éclat pour obliger à écrire contre son auteur, & à la censurer sitôtqu'elle parut. Mais combien cette naissancecachée sans besoin, & contre la vérité d'une histoire connue, lui a-t-elle dérobé dechoses plus belles que les brillans dont il asemé cet ouvrage! Les ressentimens, le 526 SECOND DISCOURS. trouble, l'irrésolution, & les déplaisirs de Constantin auroient été bien autres à prononcer un arrêt de mort contre son fils, quecontre un soldat de fortune. L'injustice desa préoccupation auroit été bien plus sensible à Crispe de la part d'un pére, que de la part d'un maître; & la qualité de fils augmentant la grandeur du crime qu'on luiimposoit, eût en même temps augmentéla douleur d'en voir un pére persuadé. Fauste même auroit eu plus de combats inté- rieurs pour entreprendre un inceste, quepour se résoudre à un adultére; ses remordsen auroient été plus animés, & ses desespoirs plus violens. L'auteur a renoncé àtous ces avantages pour avoir dédaigné de traiter ce sujet, comme l'a traité de notretemps le Pére Stéphonius Jésuite, & comme nos Anciens ont traité celui d'Hippolyte; & pour avoir crû l'élever d'un étage plushaut, selon la pensée d'Aristote, je ne sais'il ne l'a point fait tomber au - dessous de ceux que je viens de nommer.


19 - Discours de la tragedie /

Je sai que l'agnition est un grand ornement dans les Tragédies, Aristote le dit;mais il est certain qu'elle a ses incommodités. Les Italiens l'affectent en la plupartde leurs poëmes, & perdent quelquefois,par l'attachement qu'ils y ont, beaucoup d'occasions de sentimens pathétiques, quiauroient des beautés plus considérables. Cela se voit manifestement en la mort de Crispe, faite par un de leurs plus beaux esprits,Jean-Baptiste Ghirardelli, & imprimée àRome en l'année 1653. Il n'a pas manqué d'y cacher sa naissance à Constantin, &d'en faire feulement un grand Capitaine,qu'il ne reconnoit pour son fils qu'aprèsqu'il l'a fait mourir. Toute cette piéce estsi pleine d'esprit & de beaux sentimens, qu'elle eut assez d'éclat pour obliger à écrire contre son auteur, & à la censurer sitôtqu'elle parut. Mais combien cette naissancecachée sans besoin, & contre la vérité d'une histoire connue, lui a-t-elle dérobé dechoses plus belles que les brillans dont il asemé cet ouvrage! Les ressentimens, le 526 SECOND DISCOURS. trouble, l'irrésolution, & les déplaisirs de Constantin auroient été bien autres à prononcer un arrêt de mort contre son fils, quecontre un soldat de fortune. L'injustice desa préoccupation auroit été bien plus sensible à Crispe de la part d'un pére, que de la part d'un maître; & la qualité de fils augmentant la grandeur du crime qu'on luiimposoit, eût en même temps augmentéla douleur d'en voir un pére persuadé. Fauste même auroit eu plus de combats inté- rieurs pour entreprendre un inceste, quepour se résoudre à un adultére; ses remordsen auroient été plus animés, & ses desespoirs plus violens. L'auteur a renoncé àtous ces avantages pour avoir dédaigné de traiter ce sujet, comme l'a traité de notretemps le Pére Stéphonius Jésuite, & comme nos Anciens ont traité celui d'Hippolyte; & pour avoir crû l'élever d'un étage plushaut, selon la pensée d'Aristote, je ne sais'il ne l'a point fait tomber au - dessous de ceux que je viens de nommer.


20 - Discours de la tragedie /

Il y a grande apparence que ce qu'a ditce Philosophe de ces divers degrés de perfection pour la Tragédie, avoit une entiére justesse de son temps, & en la présencede ses compatriotes; je n'en veux point douter: mais aussi je ne puis m'empêcherde dire que le goût de notre siécle n'est pointcelui du sien sur cette préférence d'une espéce à l'autre, ou du moins, que ce qui DE LA TRAGEDIE. 527 plaisoit au dernier point à ses Athéniens, neplaît pas également à nos François; & jene sai point d'autre moyen de trouver mesdoutes supportables, & demeurer tout ensemble dans la vénération que nous devons à tout ce qu'il a écrit de la Poëtique.


21 - Discours de la tragedie /

Pour la prémiére, il est indubitable queles Anciens en prenoient si peu de liberté,qu'ils arrêtoient leurs Tragédies autour depeu de familles, parce que ces sortes d'ac- tions étoient arrivées en peu de familles:ce qui fait dire à ce Philosophe, que la Fortune leur fournissoit des Sujets, & non pasl'Art. Je pense l'avoir dit en l'autre Discours.Il semble toutefois qu'il en accorde un pleinpouvoir aux Poëtes par ces paroles: Ils doivent bien user de ce qui est reçû, ou inventereux-mêmes. Ces termes décideroient la ques- tion, s'ils n'étoient point si généraux; mais comme il a posé trois espéces de Tragédies,selon les divers temps de connoître, & lesdiverses façons d'agir, nous pouvons faireune revûe sur toutes les trois, pour jugers'il n'est point à propos d'y faire quelque distinction qui resserre cette liberté. J'en dirai mon avis d'autant plus hardiment, 528 SECOND DISCOURS. qu'on ne pourra m'imputer de contredireAristote, pourvû que je la laisse entiére àquelqu'une des trois.


22 - Discours de la tragedie /

De tels épisodes toutefois ne seroient paspropres à un sujet historique, ou de pureinvention, parce qu'ils manqueroient de rapport avec l'action principale, & seroientmoins vraisemblables qu'elle. Les apparitions de Vénus & d'Æole ont eu bonnegrace dans Androméde: mais si j'avois faitdescendre Jupiter pour réconcilier Nicoméde avec son pére, ou Mercure pour révéler à Auguste la conspiration de Cinna, j'aurois fait révolter tout mon auditoire, & cette merveille auroit détruit toute la croyance que le reste de l'action auroit obtenue. Ces dénouemens par des Dieux de machine sont fort fréquens chez les Grecs dansdes Tragédies qui paroissent historiques, &qui sont vraisemblables à cela près. Aussi Aristote ne les condamne pas tout - à - fait,& se contente de leur préférer ceux quiviennent du sujet. Je ne sai ce qu'en décidoient les Athéniens qui étoient leurs juges;mais les deux exemples que je viens de ci- ter, montrent suffisamment qu'il seroitdangereux pour nous de les imiter en cettesorte de licence. On me dira que ces apparitions n'ont garde de nous plaire, parceque nous en savons manifestement la fausseté, & qu'elles choquent notre Religion,ce qui n'arrivoit pas chez les Grecs. J'avoue qu'il faut s'accommoder aux mœursde l'Auditeur, & à plus forte raison à sacroyance; mais aussi doit-on m'accorder que DE LA TRAGEDIE. 531 nous avons du moins autant de foi pourl'appartition des Anges & des Saints, queles Anciens en avoient pour celle de leurApollon & de leur Mercure. Cependantqu'auroit-on dit, si pour démêler Héraclius d'avec Martian, après la mort de Phocas,je me fusse servi d'un Ange? Ce poëme estentre des Chrétiens, & cette apparition yauroit eu autant de justesse que celle desDieux de l'antiquité dans ceux des Grecs:ç'eût été néanmoins un secret infaillible de rendre celui-là ridicule, & il ne faut qu'avoir un peu de sens commun pour en demeurer d'accord. Qu'on me permette doncde dire avec Tacite: Non omnia apud prioresmeliora, sed nostra quoque ætas multa laudis& artium imitanda posteris tulit.


23 - Discours de la tragedie /

L'autre question, s'il est permis de changer quelque chose aux sujets qu'on emprunte de l'Histoire ou de la Fable, sembledécidée en termes assez formels, par Aristote, lorsqu'il dit, qu'il ne faut point changer les sujets reçûs, & que Clytemnestre doit ne point être tuée par un autre qu'Oreste, ni Eriphile par un autre qu'Alcmæon. Cette décision peut toutefois recevoir quelque distinction & quelque tempérament. Il est DE LA TRAGEDIE. 533 constant que les circonstances, ou si vousl'aimez mieux, les moyens de parvenir àl'action, demeurent en notre pouvoir. L'Histoire souvent ne les marque pas, ou en rapporte si peu, qu'il est besoin d'y suppléer pour remplir le poëme; & même il y aquelque apparence de présumer que la mémoire de l'Auditeur qui les aura lûes autrefois, ne s'y sera pas si fort attaché, qu'ils'apperçoive assez du changement que nousy aurons fait, pour nous accuser de mensonge; ce qu'il ne manqueroit pas de faire,s'il voyoit que nous changeassions l'actionprincipale. Cette falsification seroit cause qu'il n'ajoûteroit aucune foi à tout le reste;comme au contraire il croit aisément toutce reste, quand il le voit servir d'acheminement à l'effet qu'il sait véritable, & dontl'Histoire lui a laissé une plus forte impres- sion. L'exemple de la mort de Clytemnestre peut servir de preuve à ce que je viensd'avancer. Sophocle & Euripide l'ont traité tous deux, mais chacun avec un nœud& un dénouement tout-à-fait différent l'unde l'autre, & c'est cette différence qui empêche que ce ne soit la même piéce, bienque ce soit le même sujet, dont ils ont conservé l'action principale. Il faut donc laconserver comme eux; mais il faut examiner en même temps si elle n'est point sicruelle, ou si difficile à représenter, qu'elle puisse diminuer quelque chose de la cro- 534 SECOND DISCOURS. yance que l'Auditeur doit à l'Histoire, & qu'il veut bien donner à la Fable, en semettant à la place de ceux qui l'ont prisepour une vérité. Lorsque cet inconvénientest à craindre, il est bon de cacher l'événement à la vûe, & de le faire savoir par un récit qui frappe moins que le spectacle, & nous impose plus aisément.


24 - Discours de la tragedie /

Je ne saurois dissimuler une délicatesseque j'ai sur la mort de Clytemnestre, qu'Aristote nous propose pour exemple des actions qui ne doivent point être changées. Je veux bien avec lui qu'elle ne meure quede la main de son fils Oreste; mais je nepuis souffrir chez Sophocle que ce fils lapoignarde de dessein formé, pendant qu'elle est à genoux devant lui, & le conjure de lui laisser la vie. Je ne puis même pardonner à Electre, qui passe pour une vertueuse opprimée dans le reste de la piéce,l'inhumanité dont elle encourage son fréreà ce parricide. C'est un fils qui venge son pére, mais c'est sur sa mére qu'il le venge.Séleucus & Antiochus avoient droit d'enfaire autant dans Rodogune, mais je n'aiosé leur en donner la moindre pensée. Aussinotre maxime de faire aimer nos principaux Acteurs n'étoit pas de l'usage des Anciens,& ces républicains avoient une si forte haine des Rois, qu'ils voyoient avec plaisirdes crimes dans les plus innocens de leurrace. Pour rectifier ce sujet à notre mode, il faudroit qu'Oreste n'eût dessein que con- DE LA TRAGEDIE. 537 tre Ægiste, qu'un reste de tendresse respectueuse pour sa mére lui en fît remettre lapunition aux Dieux, que cette Reine s'opiniâtrât à la protection de son adultére, &qu'elle se mît entre son fils & lui si malheureusement, qu'elle reçût le coup quece Prince voudroit porter à cet assassin deson pére. Ainsi elle mourroit de la main deson fils, comme le veut Aristote, sans quela barbarie d'Oreste nous fît horreur, comme dans Sophocle, ni que son action méritât des Furies vengeresses pour le tourmenter, puisqu'il demeureroit innocent.


25 - Discours de la tragedie /

Je ne saurois dissimuler une délicatesseque j'ai sur la mort de Clytemnestre, qu'Aristote nous propose pour exemple des actions qui ne doivent point être changées. Je veux bien avec lui qu'elle ne meure quede la main de son fils Oreste; mais je nepuis souffrir chez Sophocle que ce fils lapoignarde de dessein formé, pendant qu'elle est à genoux devant lui, & le conjure de lui laisser la vie. Je ne puis même pardonner à Electre, qui passe pour une vertueuse opprimée dans le reste de la piéce,l'inhumanité dont elle encourage son fréreà ce parricide. C'est un fils qui venge son pére, mais c'est sur sa mére qu'il le venge.Séleucus & Antiochus avoient droit d'enfaire autant dans Rodogune, mais je n'aiosé leur en donner la moindre pensée. Aussinotre maxime de faire aimer nos principaux Acteurs n'étoit pas de l'usage des Anciens,& ces républicains avoient une si forte haine des Rois, qu'ils voyoient avec plaisirdes crimes dans les plus innocens de leurrace. Pour rectifier ce sujet à notre mode, il faudroit qu'Oreste n'eût dessein que con- DE LA TRAGEDIE. 537 tre Ægiste, qu'un reste de tendresse respectueuse pour sa mére lui en fît remettre lapunition aux Dieux, que cette Reine s'opiniâtrât à la protection de son adultére, &qu'elle se mît entre son fils & lui si malheureusement, qu'elle reçût le coup quece Prince voudroit porter à cet assassin deson pére. Ainsi elle mourroit de la main deson fils, comme le veut Aristote, sans quela barbarie d'Oreste nous fît horreur, comme dans Sophocle, ni que son action méritât des Furies vengeresses pour le tourmenter, puisqu'il demeureroit innocent.


26 - Discours de la tragedie /

Le même Aristote nous autorise à en user de cette maniére, lorsqu'il nous apprendque le Poëte n'est pas obligé de traiter les choses comme elles se sont passées, mais comme elles ont pû, ou dû se passer selon le vraisemblable,ou le nécessaire. Il répéte souvent ces derniersmots, & ne les explique jamais. Je tâcherai d'ysuppléer le moins mal qu'il me sera possible, &j'espére qu'on me pardonnera si je m'abuse.


27 - Discours de la tragedie /

Comme le Théatre ne nous laisse pas tantde facilité de réduire tout dans le vraisemblable, parce qu'il ne nous fait rien savoirque par des gens qu'il expose à la vûe del'Auditeur en peu de temps, il nous en dis- 542 SECOND DISCOURS. pense aussi plus aisément. On peut soutenir que ce n'est pas tant nous en dispenser,que nous permettre une vraisemblance pluslarge: mais puisqu'Aristote nous autorise à y traiter les choses selon le nécessaire,j'aime mieux dire que tout ce qui s'y passe d'une autre façon qu'il ne se passeroitdans un Roman, n'a point de vraisemblance, à le bien prendre, & se doit ranger entre les actions nécessaires.


28 - Discours de la tragedie /

Lorsqu'elles sont vraies, il ne faut pointse mettre en peine de la vraisemblance, elles n'ont pas besoin de son secours. Tout cequi s'est fait manifestement s'est pû faire, ditAristote, parce que s'il ne s'étoit pû faire,il ne se seroit pas fait. Ce que nous ajoûtonsà l'Histoire, comme il n'est pas appuyé 546 SECOND DISCOURS. de son autorité, n'a pas cette prérogative.Nous avons une pente naturelle, ajoûte ce Philosophe, à croire que ce qui ne s'est point fait,n'a pû encore se faire, & c'est pourquoi ceque nous inventons a besoin de la vraisemblance la plus exacte qu'il est possible pourle rendre croyable.


29 - Discours de la tragedie /

Aristote semble plus indulgent sur cet article, puisqu'il trouve le Poëte excusable,quand il péche contre un autre art que lesien, comme contre la Médecine ou contrel'Astrologie. A quoi je répons, qu'il ne l'excuse que sous cette condition, qu'il arrive parlà au but de son art, auquel il n'auroit pûarriver autrement. Encore avoue-t-il, qu'ilpeche en ce cas, & qu'il est meilleur de ne pointpécher du tout. Pour moi, s'il faut recevoircette excuse, je ferois distinction entre les arts qu'il peut ignorer sans honte, parcequ'il lui arrive rarement des occasions d'enparler sur son Théatre, tels que sont la Médecine & l'Astrologie que je viens de nommer; & les arts, sans la connoissance desquels, ou en tout ou en partie, il ne sauroit établir de justesse dans aucune piéce,tels que sont la Géographie & la Chronologie. Comme il ne sauroit représenter aucune action sans la placer en quelque lieu & en quelque temps, il est inexcusables'il fait paroître de l'ignorance dans le choixde ce lieu, & de ce temps où il la place.


30 - Discours de la tragedie /

Je viens à l'autre division du vraisemblable en ordinaire & extraordinaire. L'ordinaire est une action qui arrive à la véritémoins souvent que sa contraire, mais quine laisse pas d'avoir sa possibilité assez aisée, pour n'aller point jusqu'au miracle, ni jusqu'à ces événemens singuliers, qui serventde matiére aux Tragédies sanglantes parl'appui qu'ils ont de l'histoire, ou de l'opinion commune, & qui ne se peuvent tirer en exemple que pour les Episodes de la piéce dont ils font le corps, parce qu'ils nesont pas croyables à moins que d'avoir cetappui. Aristote donne deux idées ou ex- emples généraux de ce vraisemblable extraordinaire. L'un d'un homme subtil &adroit qui se trouve trompé par un moinssubtil que lui; l'autre d'un foible qui se batcontre un plus fort que lui, & en demeure victorieux; ce qui sur-tout ne manque jamais à être bien reçû, quand la cause duplus simple ou du plus foible est la plus équitable. Il semble alors que la justice duCiel ait présidé au succès, qui trouve d'ailleurs une croyance d'autant plus facile, qu'ilrépond aux souhaits de l'auditoire, qui s'intéresse toujours pour ceux dont le procédéest le meilleur. Ainsi la victoire du Cidcontre le Comte se trouveroit dans la vraisemblance extraordinaire, quand elle ne seroit pas vraie. Il est vraisemblable, dit notre Docteur, que beaucoup de choses arrivent contreDE LA TRAGEDIE. 551le vraisemblable; & puisqu'il avoue par - là que ces effets extraordinaires arrivent contre la vraisemblance, j'aimerois mieux lesnommer simplement croyables, & les ranger sous le nécessaire, attendu qu'on nes'en doit jamais servir sans nécessité.