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Discourssensé dePaul Emile.

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Le Sénat fit observer à Paul Emile deLe SénatexhortePaul Emi le à donner uncombatdécisif. quelle importance pouvoit être pour la République le bon ou le mauvais succès de cette campagne. On l'exhorta à prendre bien son tems pour une action décisive, & à s'y conduire avec cette valeur & cette prudence qu'on admiroit en lui, en un mot d'une maniére digne du Nom Romain. Ce discours du Sénat, & encore plus les préparatifs extraordinaires qu'on

a Se, quæ consilia magis res dent hominibus, quàm homines rebus, ea ante tempus immatura non præcepturum. Liv.

C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.An. R.536.Av. J. C.216.avoit faits pour cette campagne, marquent clairement que le Sénat même desiroit qu'elle mît fin à la guerre. On ne met point sur pié quatre-vingts mille hommes & plus pour la traîner en longueur, & pour demeurer sans action.


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Le SénatexhortePaul Emi le à donner uncombatdécisif.

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Beau dis cours deFabius àPaul Emi le.Liv. XXII.39.Plut. inFab. 182.

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Il étoit aisé de juger que Paul Emile étoit disposé par lui-même à préférer le parti le plus sûr au plus spécieux. Cependant Fabius, plein de zèle pour le salut de la patrie, & mécontent peut-être du desir trop marqué que témoignoit le Sénat qu'on en vînt à une bataille, voulut avoir avec Paul Emile un entretien particulier pour l'affermir encore dans ses bonnes résolutions, & il lui parla en ces termes, lorsqu'il étoit sur le point de partir. Si vous aviez un Collégue qui vous ressemblât, ce qui seroit le plus à souhaiter, ou que vous ressemblassiez vous-même à votre Collégue, il seroit bien inutile que je vous parlasse. Car deux bons Consuls n'auroient pas besoin de mes avis pour prendre en tout le parti le plus avantageux à la République; & deux mauvais Généraux, loin de suivre mes conseils, ne prendroient pas même la peine de les écouter. Mais connoissant la différence qu'il y a entre vous & Varron, c'est à vous seul que je m'adresse; & je crains bien même, quelque bon Citoyen & quelque habile Capitaine que vous soyez, que ce ne soit en vain que vous travaillerez à soutenir la République, pendant qu'elle est si mal appuyée de l'autre part. Les bons partis,C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.comme les mauvais, auront le soutien deAn. R.536.Av. J. C.216.l'Autorité Consulaire. Car ne vous y trompez pas, Paul Emile. Vous devez vous attendre à ne pas trouver moins d'obstacle dans la personne de Varron votre Collégue, que dans celle d'Annibal votre ennemi: & je ne sai si le prémier ne sera pas plus redoutable pour vous que le second. Vous n'aurez affaire à l'un que sur le champ de bataille, à l'autre en tout tems & en tout lieu. Contre Annibal, vous trouverez du secours dans vos Légions, Varron vous attaquera par vos soldats même. Nous sa vons ce que l'imprudence de Flaminius a couté à la République. Si Varron exécute son plan, & qu'il combatte dès qu'il verra l'ennemi, ou je suis un ignorant dans l'Art Militaire, & ne connois ni Annibal ni les Carthaginois, ou il y aura bientôt dans l'Italie un lieu plus célébre par notre défaite que le Lac de Trasiméne. Je puis assurer, sans craindre qu'on ait lieu de me soupçonner de vaine gloire, que le seul moyen de réussir contre Annibal, c'est de suivre la méthode que j'ai observée en faisant la guerre contre lui. Et a je ne prétens pas qu'on en juge par l'événement, (c'est le Maî- tre des personnes peu sensées) mais par la Raison, qui est toujours la même tant que les choses ne changent point. Nous faisons

a Nec eventus modò hoc docet, (stultorum iste magister est) sed eadem ratio quæ fuit, futuraque, donec eædem res manebunt, immutabilis est, Liv.

C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.An. R.536.Av. J. C.216.la guerre au milieu de l'Italie, dans le sein même de notre patrie. De toutes parts nous sommes environnés de nos Citoyens & de nos Alliés. Ils nous aident d'hommes & de chevaux, d'armes & de vivres, & ils continueront certainement de le faire: nous avons trop de témoignages de leur zèle & de leur fidélité, pour en pouvoir douter. Nous devenons de jour à autre plus forts, plus prudens, plus constans, plus habiles.Annibal, au contraire, se trouve dans un pays étranger & ennemi, séparé du sien par un long espace de terres & de mers. Il est en guerre avec tout ce qui l'environne: éloigné de sa patrie, il ne trouve la paix ni sur terre, ni sur mer. Il n'a point de ville qui le reçoive dans ses murs, point de fond sur lequel il puisse compter. Il vit au jour la journée de ce qu'il pille dans les campagnes. A peine a-t-il conservé le tiers des troupes avec lesquelles il a passé l'Ebre. La faim en a plus fait périr que le fer, & il ne sait plus comment faire subsister le peu qui lui reste. Peut-on donc douter qu'en temporisant nous ne ruïnions un ennemi qui s'affoiblit de jour en jour, & à qui l'on n'envoie ni troupes, ni vivres, ni argent. Combien y a-t-il qu'il tourne autour des murs de Géraunium, & qu'il défend ce misérable château de l'Apulie, comme si c'étoient les murailles de Carthage? Mais, pour ne pas vous proposer mon exemple seul, voyez com me les derniers Consuls, Atilius & Servilius, ont éludé tous ses efforts en se tenantC. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.sur la défensive. C'est le seul moyen, Paul An. R.536.Av. J. C.216.Emile, que vous ayez de sauver la République. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que, pour le mettre en usage, vous trouverez plus de difficultés de la part de vos citoyens, que de celle de vos ennemis. Les Romains voudront la même chose que les Carthaginois, & Varron sera dans les mêmes sentimens qu'Annibal. Il faut a que vous résistiez seul à deux Généraux; & vous en viendrez à bout, si vous savez mépriser les discours & les opinions des hommes; si vous ne vous laissez, ni éblouir par la vaine gloire de votre Collégue, ni effrayer par l'infamie prétendue dont on tâchera de vous noircir. On dit ordinairement que la vérité peut bien souffrir quelques éclipses, mais que jamais elle ne s'éteint totalement. Savoir mépriser à propos la gloire, c'est le moyen d'en acquérir une solide. Souffrez sans impatience de voir qualifier votre pru dence de timidité, votre sage circonspection de lenteur & de paresse, votre habileté dans la guerre d'incapacité & de poltronne

a Duobus ducibus unus resistas oportet. Resistes autem, adversus famam rumoresque hominum si satis firmus steteris; si te neque collegæ vana gloria, neque falsa tua infamia moverit. Veritatem laborare nimis sæpe, aiunt, extingui nunquam. Gloriam qui spreverit, veram habebit. Sine timidum pro cauto, tardum pro considerato, imbellem pro perito belli vocent. Malo te sapiens hostis metuat, quàm stulti cives laudent. Omnia audentem contemnet Annibal: nil temere agentem metuet.

C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.An. R.536.Av. J. C.216.rie. J'aime mieux que vous soyez redouté d'un sage ennemi, que loué par des citoyens insensés. Annibal vous méprisera, s'il vous voit tout oser: si vous ne faites rien témérairement, il vous craindra. Après tout, mon sentiment n'est pas que vous restiez toujours dans l'inaction; mais que toutes vos entreprises soient dirigées par la raison, & non abandonnées au hazard. Soyez toujours le maître des événemens. Soyez toujours armé, & sur vos gardes. Ne manquez jamais aucune occasion qui vous soit favorable, mais n'en donnez jamais à l'ennemi de vous surprendre. Quand vous ne marcherez point avec précipitation, vous verrez clair, & tous vos pas seront assurés L'empressement nous aveugle & nous trouble.


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Il étoit aisé de juger que Paul Emile étoit disposé par lui-même à préférer le parti le plus sûr au plus spécieux. Cependant Fabius, plein de zèle pour le salut de la patrie, & mécontent peut-être du desir trop marqué que témoignoit le Sénat qu'on en vînt à une bataille, voulut avoir avec Paul Emile un entretien particulier pour l'affermir encore dans ses bonnes résolutions, & il lui parla en ces termes, lorsqu'il étoit sur le point de partir. Si vous aviez un Collégue qui vous ressemblât, ce qui seroit le plus à souhaiter, ou que vous ressemblassiez vous-même à votre Collégue, il seroit bien inutile que je vous parlasse. Car deux bons Consuls n'auroient pas besoin de mes avis pour prendre en tout le parti le plus avantageux à la République; & deux mauvais Généraux, loin de suivre mes conseils, ne prendroient pas même la peine de les écouter. Mais connoissant la différence qu'il y a entre vous & Varron, c'est à vous seul que je m'adresse; & je crains bien même, quelque bon Citoyen & quelque habile Capitaine que vous soyez, que ce ne soit en vain que vous travaillerez à soutenir la République, pendant qu'elle est si mal appuyée de l'autre part. Les bons partis,C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.comme les mauvais, auront le soutien deAn. R.536.Av. J. C.216.l'Autorité Consulaire. Car ne vous y trompez pas, Paul Emile. Vous devez vous attendre à ne pas trouver moins d'obstacle dans la personne de Varron votre Collégue, que dans celle d'Annibal votre ennemi: & je ne sai si le prémier ne sera pas plus redoutable pour vous que le second. Vous n'aurez affaire à l'un que sur le champ de bataille, à l'autre en tout tems & en tout lieu. Contre Annibal, vous trouverez du secours dans vos Légions, Varron vous attaquera par vos soldats même. Nous sa vons ce que l'imprudence de Flaminius a couté à la République. Si Varron exécute son plan, & qu'il combatte dès qu'il verra l'ennemi, ou je suis un ignorant dans l'Art Militaire, & ne connois ni Annibal ni les Carthaginois, ou il y aura bientôt dans l'Italie un lieu plus célébre par notre défaite que le Lac de Trasiméne. Je puis assurer, sans craindre qu'on ait lieu de me soupçonner de vaine gloire, que le seul moyen de réussir contre Annibal, c'est de suivre la méthode que j'ai observée en faisant la guerre contre lui. Et a je ne prétens pas qu'on en juge par l'événement, (c'est le Maî- tre des personnes peu sensées) mais par la Raison, qui est toujours la même tant que les choses ne changent point. Nous faisons

a Nec eventus modò hoc docet, (stultorum iste magister est) sed eadem ratio quæ fuit, futuraque, donec eædem res manebunt, immutabilis est, Liv.

C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.An. R.536.Av. J. C.216.la guerre au milieu de l'Italie, dans le sein même de notre patrie. De toutes parts nous sommes environnés de nos Citoyens & de nos Alliés. Ils nous aident d'hommes & de chevaux, d'armes & de vivres, & ils continueront certainement de le faire: nous avons trop de témoignages de leur zèle & de leur fidélité, pour en pouvoir douter. Nous devenons de jour à autre plus forts, plus prudens, plus constans, plus habiles.Annibal, au contraire, se trouve dans un pays étranger & ennemi, séparé du sien par un long espace de terres & de mers. Il est en guerre avec tout ce qui l'environne: éloigné de sa patrie, il ne trouve la paix ni sur terre, ni sur mer. Il n'a point de ville qui le reçoive dans ses murs, point de fond sur lequel il puisse compter. Il vit au jour la journée de ce qu'il pille dans les campagnes. A peine a-t-il conservé le tiers des troupes avec lesquelles il a passé l'Ebre. La faim en a plus fait périr que le fer, & il ne sait plus comment faire subsister le peu qui lui reste. Peut-on donc douter qu'en temporisant nous ne ruïnions un ennemi qui s'affoiblit de jour en jour, & à qui l'on n'envoie ni troupes, ni vivres, ni argent. Combien y a-t-il qu'il tourne autour des murs de Géraunium, & qu'il défend ce misérable château de l'Apulie, comme si c'étoient les murailles de Carthage? Mais, pour ne pas vous proposer mon exemple seul, voyez com me les derniers Consuls, Atilius & Servilius, ont éludé tous ses efforts en se tenantC. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.sur la défensive. C'est le seul moyen, Paul An. R.536.Av. J. C.216.Emile, que vous ayez de sauver la République. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que, pour le mettre en usage, vous trouverez plus de difficultés de la part de vos citoyens, que de celle de vos ennemis. Les Romains voudront la même chose que les Carthaginois, & Varron sera dans les mêmes sentimens qu'Annibal. Il faut a que vous résistiez seul à deux Généraux; & vous en viendrez à bout, si vous savez mépriser les discours & les opinions des hommes; si vous ne vous laissez, ni éblouir par la vaine gloire de votre Collégue, ni effrayer par l'infamie prétendue dont on tâchera de vous noircir. On dit ordinairement que la vérité peut bien souffrir quelques éclipses, mais que jamais elle ne s'éteint totalement. Savoir mépriser à propos la gloire, c'est le moyen d'en acquérir une solide. Souffrez sans impatience de voir qualifier votre pru dence de timidité, votre sage circonspection de lenteur & de paresse, votre habileté dans la guerre d'incapacité & de poltronne

a Duobus ducibus unus resistas oportet. Resistes autem, adversus famam rumoresque hominum si satis firmus steteris; si te neque collegæ vana gloria, neque falsa tua infamia moverit. Veritatem laborare nimis sæpe, aiunt, extingui nunquam. Gloriam qui spreverit, veram habebit. Sine timidum pro cauto, tardum pro considerato, imbellem pro perito belli vocent. Malo te sapiens hostis metuat, quàm stulti cives laudent. Omnia audentem contemnet Annibal: nil temere agentem metuet.

C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.An. R.536.Av. J. C.216.rie. J'aime mieux que vous soyez redouté d'un sage ennemi, que loué par des citoyens insensés. Annibal vous méprisera, s'il vous voit tout oser: si vous ne faites rien témérairement, il vous craindra. Après tout, mon sentiment n'est pas que vous restiez toujours dans l'inaction; mais que toutes vos entreprises soient dirigées par la raison, & non abandonnées au hazard. Soyez toujours le maître des événemens. Soyez toujours armé, & sur vos gardes. Ne manquez jamais aucune occasion qui vous soit favorable, mais n'en donnez jamais à l'ennemi de vous surprendre. Quand vous ne marcherez point avec précipitation, vous verrez clair, & tous vos pas seront assurés L'empressement nous aveugle & nous trouble.


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l'Autorité Consulaire. Car ne vous y trompez pas, Paul Emile. Vous devez vous attendre à ne pas trouver moins d'obstacle dans la personne de Varron votre Collégue, que dans celle d'Annibal votre ennemi: & je ne sai si le prémier ne sera pas plus redoutable pour vous que le second. Vous n'aurez affaire à l'un que sur le champ de bataille, à l'autre en tout tems & en tout lieu. Contre Annibal, vous trouverez du secours dans vos Légions, Varron vous attaquera par vos soldats même. Nous sa vons ce que l'imprudence de Flaminius a couté à la République. Si Varron exécute son plan, & qu'il combatte dès qu'il verra l'ennemi, ou je suis un ignorant dans l'Art Militaire, & ne connois ni Annibal ni les Carthaginois, ou il y aura bientôt dans l'Italie un lieu plus célébre par notre défaite que le Lac de Trasiméne. Je puis assurer, sans craindre qu'on ait lieu de me soupçonner de vaine gloire, que le seul moyen de réussir contre Annibal, c'est de suivre la méthode que j'ai observée en faisant la guerre contre lui. Et

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sur la défensive. C'est le seul moyen, Paul

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Réponsede Paul E mile.Liv. XXII.40.

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Après cet entretien, Paul Emile partit pour l'Armée, accompagné jusqu'aux portes de la ville par les prémiers du Sénat; pendant qu'un cortége, plus remarquable par son grand nombre que par sa dignité, suivoit le Consul Plébéyen son idole.


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An R.536.Av. J. C.216.Haran gue dePaul Emile auxtroupes.

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Lorsqu'ils furent arrivés l'un & l'autreAn R.536.Av. J. C.216.Haran gue dePaul Emile auxtroupes. au camp, ils firent assembler les troupes, pour leur déclarer les intentions du Sénat, & pour les animer à bien faire leur devoir. Paul Emile porta la parole, & jugeant nécessaire de rassurer les troupes contre les revers qu'elles avoient éprouvés, & dissiper l'épouvante qu'elles en avoient conçue, leur représenta,“ Que si, dans les combats précédens, elles avoient eu du dessous, elles pouvoient, par bien des raisons, faire voir qu'elles n'en étoient pas responsables: mais que si maintenant on jugeoit à propos de donner une bataille, rien ne pourroit mettre obstacle à la victoire. Qu'auparavant deux Consuls ne commandoient point la même Armée; & qu'on ne s'étoit servi que de troupes levées depuis peu, sans exercice, sans expérience, & qui étoient venues aux mains avec l'ennemi, sans presque l'avoir vu ni le connoître.“ Mais aujourd'hui, ajouta-t-il,vous voyez toutes choses dans une situation bien différente. Les deux Consuls marchent à votre tête, & partagent avec vous tous les périls. Vous connoissez les armes des ennemis, leur maniére de se former, leur nombre. Depuis plus d'un an il ne s'est presque point passé de jour que vous n'ayez mesuré vos épées avec les leurs. Des circonstances différentes doivent pr oduire unsuccès différent. Après que dans des rencontres particuliéres, combattant à forces egales, vousC. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.An. R.536.Av. J. C.216.avez été souvent victorieux, il seroit bien étrange, que, supérieurs en nombre de plus de la moitié, vous fussiez défaits. Romains, il ne vous manque plus pour la victoire, que de vouloir vaincre. Mais ce seroit vous faire injure, que de vous exhorter à le vouloir. Songez seulement que la patrie, inquiéte & tremblante, a les yeux tournés sur vous. Ses soins, ses forces, ses espérances, tout est réuni dans votre Armée. Le sort de Rome, celui de vos péres, de vos eufans, est entre vos mains. Faites ensorte que le succès réponde à leur attente. Après cette harangue, Paul Emile congédia l'Assemblée. Quoiqu'Annibal vît les troupes des Romains augmentées de moitié, il ne laissa pas de ressentir une extrême joie de l'arrivée des nouveaux Consuls, parce qu'il ne cherchoit que l'occasion de combattre.


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Lorsqu'ils furent arrivés l'un & l'autreAn R.536.Av. J. C.216.Haran gue dePaul Emile auxtroupes. au camp, ils firent assembler les troupes, pour leur déclarer les intentions du Sénat, & pour les animer à bien faire leur devoir. Paul Emile porta la parole, & jugeant nécessaire de rassurer les troupes contre les revers qu'elles avoient éprouvés, & dissiper l'épouvante qu'elles en avoient conçue, leur représenta,“ Que si, dans les combats précédens, elles avoient eu du dessous, elles pouvoient, par bien des raisons, faire voir qu'elles n'en étoient pas responsables: mais que si maintenant on jugeoit à propos de donner une bataille, rien ne pourroit mettre obstacle à la victoire. Qu'auparavant deux Consuls ne commandoient point la même Armée; & qu'on ne s'étoit servi que de troupes levées depuis peu, sans exercice, sans expérience, & qui étoient venues aux mains avec l'ennemi, sans presque l'avoir vu ni le connoître.“ Mais aujourd'hui, ajouta-t-il,vous voyez toutes choses dans une situation bien différente. Les deux Consuls marchent à votre tête, & partagent avec vous tous les périls. Vous connoissez les armes des ennemis, leur maniére de se former, leur nombre. Depuis plus d'un an il ne s'est presque point passé de jour que vous n'ayez mesuré vos épées avec les leurs. Des circonstances différentes doivent pr oduire unsuccès différent. Après que dans des rencontres particuliéres, combattant à forces egales, vousC. Ter. Varro, L. Æmil. Cons.An. R.536.Av. J. C.216.avez été souvent victorieux, il seroit bien étrange, que, supérieurs en nombre de plus de la moitié, vous fussiez défaits. Romains, il ne vous manque plus pour la victoire, que de vouloir vaincre. Mais ce seroit vous faire injure, que de vous exhorter à le vouloir. Songez seulement que la patrie, inquiéte & tremblante, a les yeux tournés sur vous. Ses soins, ses forces, ses espérances, tout est réuni dans votre Armée. Le sort de Rome, celui de vos péres, de vos eufans, est entre vos mains. Faites ensorte que le succès réponde à leur attente. Après cette harangue, Paul Emile congédia l'Assemblée. Quoiqu'Annibal vît les troupes des Romains augmentées de moitié, il ne laissa pas de ressentir une extrême joie de l'arrivée des nouveaux Consuls, parce qu'il ne cherchoit que l'occasion de combattre.


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Les Romains remportérent d'abord unRusesd'Annibaldécouver te.Liv. XXII.41-43.léger avantage sur les fourrageurs d'Annibal dans un combat tumultuaire, où il demeura sur la place dix-sept cens hommes du côté des Carthaginois, & du côté des Romains cent tout au plus, tant Citoyens qu'Alliés. Annibal ne fut pas fâché de ce petit succès des ennemis. Il le regarda comme une amorce propre à les faire tomber dans ses filets, & songea à en profiter sur le champ. Comme si cet échec l'eût intimidé, il quite son camp pendant la nuit, y laissant presque tout le bagage. Il y avoit fait allumer grand nombre de C. Ter. Varro, L. Æmil. Cons. feux, pour faire croire aux Consuls queAn. R.536.Av. J. C.216. son intention étoit de leur dérober sa fuite. Pour lui il se cache avec ses troupes derriére les montagnes. Dès que le jour parut, les soldats s'apperçurent que le camp d'Annibal étoit abandonné, & démandérent avec de grandes clameurs qu'on leur donnât le signal pour aller poursuivre les ennemis, & piller leur camp. Varron appuyoit fortement leur demande. Paul Emile ne se lassoit point de répéter qu'il faloit se tenir sur ses gardes, & se défier des ruses d'Annibal. Voyant qu'on ne l'écoutoit point, il fit avertir son Collégue que les auspices n'étoient pas favorables.Varron n'osa passer outre, mais l'Armée refusoit d'obéir. Heureusement deux esclaves, qui l'année précédente avoient été faits prisonniers par les Carthaginois, aiant trouvé moyen de s'enfuir, arrivérent dans ce moment au camp des Romains, & aiant été menés sur le champ aux Consuls, leur firent connoître que l'Armée d'Annibal étoit postée en embuscade derriére les montagnes. a Cet éclaircissement vint fort à propos pour donner moyen aux Consuls de faire respecter leur autorité, que la mollesse & la complaisance mal entendue de Varron avoit apris aux troupes à mépriser.


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Annibal, voyant sa ruse découverte, revint dans son camp. Les embarras où il se trouva alors, prouvent bien la sagesse de la conduite que Fabius avoit tenue le prémier, & que Paul Emile suivoit à son exemple. Il manquoit de vivres & d'argent. Déja ses troupes commençoient à murmurer, & à se plaindre ouvertement de ce qu'on ne leur payoit point leur solde, & de ce qu'on les faisoit mourir de faim. Déja les soldars Espagnols songeoient à passer du côté des Romains. Enfin l'on dit qu'Annibal lui-même délibéra plus d'une fois, s'il ne s'enfuiroit point en Gaule avec sa Cavalerie, laissant toute son Infanterie qu'il ne pouvoit plus entretenir. La disette l'obligea à décamper, & à passer dans un endroit de l'Apulie où les chaleurs étoient plus grandes, & où, par cette raison, les blés mûrissoient plus promtement. Il vint se poster près de Cannes, petite bourgade, mais qui devint bientôt après très célébre par le combat qui s'y donna. Elle étoit située sur la riviére d'Aufide, appellée maintenant l'Ofanto. C'étoit un pays de plaine, qu'Annibal avoit choisi exprès, afin de pouvoir faire usage de sa Cavalerie, qui faisoit la principale partie de ses forces & de sa confiance. Les Romains le suivirent de près, & allérent camper dans son voisinage.